Progrès : un mythe contemporain

Les concepts, les illusions et les mensonges dans lesquels la plus grande majorité des Occidentaux s’engluent quotidiennement n’ont pas seulement trait aux rapports entre les sexes : certes, le féminisme SJW est l’une des plus bruyante manifestation d’un mythe contemporain délirant mais d’autres idées sous-tendent l’ensemble de l’édifice intellectuel Pilule Bleue, et parmi ces idées, la fiction du Progrès est l’une des plus puissantes.

La conscience, simpliste et rudimentaire du défenseur des valeurs Pilule Bleue, obéit à une forme de fiction narrative : pour la Jeune Fille (qui, dans bien des cas, peut très bien être un vieil homme également), nous vivons dans une sorte de roman à l’eau de rose, dans lequel on peut clairement identifier des gentils et des méchants. Ce monde manichéen se divise donc en deux camps : les gentils, qui sont favorables au Progrès, et les méchants, qui veulent revenir en arrière dans le temps. Être progressiste, c’est être au sommet de la hiérarchie des valeurs, de la morale et de la bonté. C’est surtout être tourné vers l’avenir, forcément radieux, car, c’est certain, le Progrès va advenir. Il ne peut qu’advenir. D’ailleurs s’il n’advient pas, c’est de la faute à la racaille oppressive et réactionnaire.

La fiction du progrès

Dans la logique de cette fiction, les gentils peuvent être facilement identifiés : il s’agit de gens opprimés. Il peut aussi y avoir des gentils qui ne sont pas opprimés, mais ils partent avec un handicap de départ : il leur faudra donc signaleur leur vertu très haut, très fort et très longtemps, afin de se faire pardonner leur couleur de peau, leur sexe, leur famille de naissance ou autres éléments de leur idiosyncrasie dont ils ne sont pas responsables mais qui font quand même d’eux de méchants oppresseurs. Si le non-opprimé peut, en cours de route, se trouver une raison de se considérer lui-même comme un opprimé, c’est encore mieux. Ainsi, Marie-Chantal, étudiante en lettres et fille d’un couple d’avocats parisiens, pourra-t-elle légitimement tweeter #haltealoppression et relayer des articles de Madmoizelle dénonçant l’abominable machisme ambiant, depuis un Iphone dernier cri payé par Papa : après tout, elle est une femme, donc une victime ; elle a quelques kilos en trop, donc la grossophobie, ça suffit ; un jour, un mec dans le métro a reluqué son décolleté, donc elle a subi des violences sexistes ; et sa Licence de littérature ne lui ouvre l’accès à aucune carrière bien payée et facile, donc elle subit de plafond de verre de l’oppression patriarcale sur le lieu de travail. Et c’est heureux pour elle, car ainsi, elle évite de se rendre compte de ce qu’elle est réellement : le dodu rejeton sur-protégé d’une bourgeoisie cossue, vivant dans l’époque et la civilisation la plus confortable de l’Histoire, jouissant de libertés et de protections dont aucune de ses ancêtres n’aurait osé rêver et trouvant encore le moyen de se plaindre que la life, c’est vraiment trop hard. En bref : une sale gosse capricieuse. Heureusement pour elle, il y a le Progrès, grâce auquel elle peut continuer à avoir le sentiment d’appartenir au Camp du Bien, plutôt qu’à la horde des parasites inutiles et vains. Grâce auquel elle peut avoir le sentiment d’être tournée vers l’avenir, sans réaliser qu’elle n’est qu’une Tarentule.

Définir le Progrès

Mais qu’est-ce que le Progrès, au juste ? Nier les évidences scientifiques (comme les différences entre les sexes) ? Identifier plus d’une centaine de genres tous plus délirants les uns que les autres et auxquels on peut se rattacher au gré de ses caprices ? Prétendre qu’il n’existe ni culture ni nation et que les individus sont interchangeables ? Faire la chasse au dahu et au Grand Méchant Patriarcat Oppresseur ? Nier les déterminants de chacun et prétendre que l’être humain n’est que matière ? Remplacer des générations d’hommes responsables et de bons pères de famille par des hipsters dévirilisés ? Ramener à la vie le culte des sorcières (mince ! ne serait-ce pas un rien réactionnaire que de se définir ainsi par une appartenance liée au passé ?) ? Rien de tout cela et tout à la fois, et aussi bien d’autres choses encore. Car le Progrès est, d’abord et avant tout, un flou, un vague. C’est un mot-valise dans lequel on peut fourrer à peu près tout, n’importe quoi et son contraire, du moment que le packaging est joli et que le wording séduit. La définition précise du Progrès, et de ce que l’on peut mettre dans ce grand sac, dépend majoritairement de qui tient le Ministère de la Parole : qui possède les principaux médias, qui forme les journalistes, qui siège dans les universités, qui peut orienter la mode. En d’autres termes : on appelle Progrès tout le corpus idéologique qui sied aux dominants. Et progressistes, ceux qui se soumettent volontairement à ce corpus.

Réaction et phobie

Si on se penche sérieusement sur les idéaux classés « Progrès », on peine à en comprendre la cohérence idéologique. Et pour cause : il n’y en a pas.  A l’instar du Parti Démocrate américain, qui se veut à la fois le parti des gays, celui des hispanos au catholicisme souvent rigide et celui des musulmans, y compris les plus radicaux, le Progrès est omnivore : il peut tout avaler, tout digérer, et prétendre que l’ensemble forme un tout cohérent. Parce qu’au fond, il ne s’agit que d’un concept vide. Une étiquette « Vu à la télé », qu’on peut coller sur n’importe quelle idée, pourvu qu’elle serve les intérêts des classes dirigeantes. Une fois cette étiquette collée, le concept devient cool, tendance, innovant, ouvert, tolérant. Et si vous n’y adhérez pas dans la seconde, vous devenez vieux-jeu, réactionnaire, ignorant, intolérant … bref : méchant. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater à quel point le terme réactionnaire est devenu une injure, qui sert bien souvent à clore un débat. Pour l’être de raison, pourtant, un réactionnaire est seulement quelqu’un qui souhaite revenir à un état antérieur des choses (c’est la définition précise du terme) : cela ne dit pas s’il a raison ou tort de vouloir ce retour ; cela définit seulement une orientation de sa pensée. Bien entendu, on est en droit de considérer qu’un réactionnaire qui souhaite le retour du Troisième Reich, par exemple, est en tort. Mais il est en tort parce qu’il souhaite un régime dictatorial et violent, pas parce que ce régime appartient au passé. Après tout, un malade qui veut recouvrer la santé est lui aussi, stricto sensu, un réactionnaire.

Il y a pire que le réactionnaire, cependant : il y a le phobe. Si vous n’avez pas envie de vous plier à un quelconque nouveau concept qui vient d’arriver dans le panier du Progrès, vous êtes phobe. C’est-à-dire que vous avez peur. Des travestis, des musulmans, des végétariens, des hystériques, des femmes, de l’éducation, du bonheur, des Bisounours … qu’importe, vous êtes phobe. Et là encore, pas question d’en discuter les raisons : il est impossible d’avoir de bonnes raisons d’être opposé au Progrès. La phobie qui vous caractérise est d’ailleurs une forme de trouble mental. Et ce qui est sous-entendu dans l’expression phobe, c’est qu’un trouble mental, ça se soigne. Et quand une personne souffre de troubles mentaux trop sévères, elle peut même être internée d’office. Bien entendu, le patient crie qu’il n’est pas fou, mais que voulez-vous, ils disent tous ça.

Une schlag idéologique

On touche ici au cœur de la notion frauduleuse de Progrès : il s’agit, en réalité, d’une injonction à obéir. Suis la meute, marche au pas, aboie contre les méchants, flatte les gentils. Ne te pose pas de questions. D’autres, plus intelligents que toi, plus sages que toi, ont déjà réfléchi. Si tu ne suis pas, tu seras mis sur la touche ; tes amis progressistes te regarderont de haut ; tu seras conspué, privé de parole, diabolisé. Et peut-être bien interné, un de ces quatre, pourquoi pas ? La machine est si bien huilée, marche avec une telle perfection, que la foule aveugle et imbécile est même capable de devenir son propre chien de troupeau : nul besoin de Police de la Pensée, il y a les médias sociaux et leurs hordes de petits bourgeois culpabilisés, prêts à tout pour prouver aux opprimés dont ils rêvent de faire partie que non, ils ne sont pas des collabos de l’odieux système patriarcal.

L’une des principales contradictions dans la notion de Progrès est qu’elle postule que l’avenir est forcément meilleur que le passé et que l’humanité, dans l’ensemble, va vers quelque chose de mieux (sans qu’on ait défini clairement ce que ce « mieux » veut dire). Qu’il y a un sens à l’Histoire. Qu’en quelque sorte, les humains doivent accomplir une destinée tracée à l’avance. Or un tel concept n’est possible qu’en admettant une entité supérieure, responsable de cette direction, qu’on l’appelle Dieu, Destin, Eidos, Inconscient Collectif, Matrice ou autre. Mais l’adepte du Progrès est le plus souvent athée et matérialiste. Il ne croit pas à la Transcendance mais croit à une Idée qui traverserait l’Histoire, un peu à la manière d’Hegel, qui s’est lui aussi cassé les dents sur cette aporie.

Le problème de l’absence de Dieu dans la notion de Progrès tient également au fait que la conception unidirectionnelle de l’Histoire (avec un début, un déroulement et une fin en apothéose) n’existe que dans la pensée monothéiste : seuls le judaïsme, le christianisme et l’islam possèdent cette notion. Pour tous les autres systèmes de croyance, le temps est cyclique et l’éternel recommencement est la seule constante universelle. Cette notion d’un sens de l’Histoire a, d’ailleurs, certainement expliqué en partie les succès et l’agressivité historique de ces religions : quand vous êtes persuadé que vous n’avez qu’une seule vie, que vous avez une mission à accomplir sur Terre et que vous serez jugé à la fin des temps, vous avez nettement plus tendance à aller péter la gueule aux infidèles de tout poil que si vous croyez que, quoi qu’il arrive, vous serez réincarné et continuerez, encore et encore, la même existence.

Évolution historique et progrès

La vie n’est qu’une ombre errante ; un pauvre acteur
Qui se pavane et s’agite une heure sur la scène
Et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire
Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,
Et qui ne signifie rien

Shakespeare – MacBeth

Cela signifie-t-il qu’il n’y a aucun progrès ? Absolument pas. L’Histoire évolue et sa marche en avant est irrémédiable. Elle ne repasse pas les plats, même si parfois elle bégaye. En revanche, il n’y a aucun mouvement universel et absolu : des évolutions existent, et peuvent être constatées chaque jour, mais elles n’ont aucune valeur morale intrinsèque. Ce n’est pas parce que c’est nouveau que c’est bien. Ce n’est pas parce que c’est ancien que c’est mauvais. Et inversement. Pour l’homme de raison, l’Histoire avance au gré des conflits, des pouvoirs et des influences qui s’entrecroisent, des intérêts et des haines, des cupidités et des orgueils humains. Mais elle n’a pas de sens, en cela qu’elle n’a pas de finalité.

Pourtant, le thuriféraire du Progrès se raccroche à des idées opposées : cela va dans le sens de l’Histoire il est temps de passer à autre chose c’est incroyable qu’en [insérer la date du jour] on en soit encore là… Comme s’il existait une obligation à faire évoluer les choses, les personnes et les sociétés dans un sens et dans un seul : celui qu’il revendique lui-même. Autrefois, Marx pensait que le communisme arriverait tôt ou tard, lorsque le capitalisme se sera écroulé sur lui-même. Les marxistes véritables sont rares, aujourd’hui, et ceux qui s’en revendiquent ont rarement lu Marx : beaucoup ignorent, par exemple, la notion de lumpenproletariat en tant qu’allié objectif de la bourgeoisie dominante, ou encore celle de valeur ajoutée. Mais le cœur de doctrine, l’idée d’une inévitable marche en avant, est encore là. Il faut dire que l’idée selon laquelle il existerait une voie unique, une direction inévitable à toute l’histoire humaine, et qu’il serait immoral de s’en détourner, reste le meilleur moyen de canaliser les masses à peu de frais. Ça coûte moins cher que des bergers allemands et des Tonton Makoute et, in fine, c’est tout aussi efficace.

Un véritable progrès est cependant concevable. Mais il faudrait pour cela disposer de critères de mesures clairs et bien définis. Il dépend donc entièrement de ce que l’on décide de mesurer. Et cette décision est, par nature, arbitraire. On peut bien entendu se baser sur des échelles pré-existantes, comme l’Indice de Développement Humain, le taux de suicide, le bonheur individuel au sein des sociétés, et ainsi de suite. Nul ne conteste qu’il est plus confortable de vivre dans une société dont l’IDH est haut. Mais s’agit-il là d’un Progrès au sens le plus profond du terme ? Le destin de l’humanité est-il d’aller vers toujours plus de confort ? On peut le penser. Mais rien ne le prouve.

De même, la progression technologique est indiscutable. Mais est-ce un Progrès pour l’humanité ? La destruction de la relation humaine immédiate et directe par les médias sociaux est-elle une avancée ? La pollution est-elle un avantage ? La progression technologique n’est que l’amélioration d’un outil de l’humanité. Pas de l’humanité elle-même. Creuser un trou au tractopelle plutôt qu’à la pioche, ou à la pioche plutôt qu’à mains nues, c’est bien plus efficace et bien plus facile. Mais fondamentalement, ça ne vous rend pas meilleur. Si demain, suite à une catastrophe façon Malevil, nous nous retrouvions au Moyen Âge, nous ne régresserions pas pour autant : l’humanité ne serait pas pire qu’elle ne l’est aujourd’hui. Elle serait seulement soumise à des contraintes différentes et plus rudes.

De toutes les illusions contemporaines, la notion de Progrès est donc sans doute celle que l’homme de raison, sous Pilule Rouge, se doit de rejeter en priorité. Certes, les réactionnaires absolus sont à mettre dans le même sac que les progressistes à tout crin : celui des crétins irrationnels, incapables de juger le réel sainement. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, les réactionnaires sont rares, et nettement moins casse-pieds.
Il n’y a pas de voie toute tracée. Il n’y a pas de sens de l’Histoire. Et c’est tant mieux. Car si ce sens de l’Histoire existait, nous en serions prisonniers. Les adeptes du Progrès réalisent souvent mal, eux qui réclament la liberté et l’égalité à tous bouts de champ, à quel point la notion même de Progrès inéluctable est une idée d’esclavagiste : si le Progrès existe, alors rien d’autre n’est possible, et nous sommes, bel et bien, prisonniers d’un scénario déjà écrit à l’avance. Nous sommes dans la Matrice et personne ne viendra nous en libérer. Sans doute est-ce pour cela, d’ailleurs, qu’ils défendent à ce point les valeurs Pilule Bleue : après tout, pour rester dans la métaphore Matrix, que sont-ils, ces progressistes, sinon des Agents ? Voie de paresse intellectuelle et de fainéantise idéologique, le Progrès est non seulement un mythe, mais aussi une prison.

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