Pour qui fréquente, ne serait-ce qu’occasionnellement, les différents groupes et sites de la manosphère, que ce soit dans ou hors du web, un constat s’impose : une large proportion de ces espaces sont des lieux d’expression pour des hommes ayant à se plaindre de certaines femmes, et qui s’y défoulent, bien plus qu’ils ne cherchent des solutions concrètes à leurs problèmes. Il faut dire qu’une très large proportion, et sans doute la majorité, des hommes nés après 1970 ont vécu avec des femmes des expériences dont ils ont gardé une certaine amertume, à un degré ou à un autre. Les raisons de cet état de fait sont multiples mais on peut en citer quelques-unes, qui constituent vraisemblablement des clés du problème.

Un faisceau de faits problématiques
La proportion des hommes devrait être réduite et maintenue à environ 10% de la race humaine.
Sally Miller Gerhart
- Les femmes contemporaines sont habituées, dès leur adolescence, à ne pas voir les hommes comme des êtres humains, disposant eux aussi d’envies, de besoins, d’impulsions et de désirs, mais bien plutôt comme des problèmes à gérer, des maux avec lesquels il faut bien faire, puisqu’ils sont là.
- Ces mêmes femmes contemporaines sont, pour beaucoup d’entre elles, totalement dénuées de féminité positive et réelle : beaucoup sont froides, calculatrices, narcissiques et ne voient les mâles que comme des jouets ou des outils. D’autres sont distantes et apeurées, persuadées que les hommes ne peuvent être pour elles que des prédateurs ou des harceleurs.
- Ces femmes refusent le rôle féminin traditionnel et souhaitent s’approprier des éléments du rôle masculin traditionnel. Le plus souvent, cette démarche donne des résultats catastrophiques ; car non seulement ces individus n’assument ni ne maîtrisent les dons que la Nature leur a octroyé, mais en plus ils ne sont, à l’égard des qualités de l’autre sexe qu’ils prétendent s’approprier, que de pâles caricatures. La créature qui en résulte cumule donc, bien souvent, les tares de chacun des deux sexes, sans parvenir à incarner la grandeur d’aucun. A l’inverse, un homme souhaitant conserver son rôle traditionnel est désormais un affreux vilain pas beau machiste, sans doute également fasciste, et victime de masculinité toxique. Idem s’il résiste aux sirènes marchandes de la dévirilisation et de la réduction à l’état de sous-être métrosexuel. En matière de rôle social, donc, une femme qui veut devenir un homme est une héroïne. Un homme qui veut rester un homme est un salaud. Les qualités masculines ne sont souhaitables que chez l’autre sexe : si vous êtes né avec, vous êtes poussé à y renoncer.
- L’idéologie qui se trouve sous ces comportements n’est pas une idéologie de paix, ni d’égalité. Elle ne prône pas le dialogue, ni la compréhension mutuelle entre les sexes. Elle ne parle ni de complémentarité, ni d’échange. Elle part du principe que les hommes sont le Mal, que les femmes en sont les victimes, et qu’il n’y a aucune discussion possible entre les victimes et leurs bourreaux. Ces derniers doivent être écrasés, castrés symboliquement et (pourquoi pas ?) physiquement, poussés à la honte envers leur propre essence. Pour ce féminisme-là, les hommes (surtout s’ils sont occidentaux, Blancs, hétérosexuels et cisgenres) sont la lie de l’humanité : ils sont des Untermenschen et doivent être traités comme tels. L’avenir radieux ne s’offrira à l’humanité que lorsque la Race Pure (les femmes) se sera débarrassée de cette engeance maléfique, soit en la réduisant à un statut d’esclaves et éventuellement de reproducteurs, soit en les poussant à renier leur propre nature. Le terme de féminazie n’est pas usurpé : au sens classique du terme, le féminisme moderne est une forme de totalitarisme.
- Cette offensive idéologique s’accompagne d’un usage démesuré des doubles standards : ainsi, objectifier le corps des femmes est une horreur mais s’acheter un calendrier des Dieux du Stade est sexy et glamour ; créer des espaces 100% féminins non mixte est une chose géniale, alors que les espaces 100% masculins non mixtes sont des horreurs rétrogrades et des témoins d’une époque révolue, de sorte qu’à l’exception de quelques clubs sportifs, d’une partie des loges maçonniques (pas toutes, loin de là), et de quelques séminaires religieux (le séminaire catholique et son équivalent musulman, en gros ; il y a belle lurette que le séminaire protestant et même les écoles rabbiniques ne sont plus 100% masculines ; au sein du judaïsme libéral, les femmes rabbins sont légion, mais même parmi les plus traditionnalistes, des femmes enseignent, désormais), il n’existe plus aujourd’hui aucun espace uniquement masculin.
- On est autorisé à louer le fait qu’une femme soit une femme, surtout si elle parvient à un poste de pouvoir, mais nul n’accepterait qu’un homme fasse campagne sur ses qualités viriles ; une femme ayant assassiné son mari avec préméditation est une pauvre victime de maltraitance, tandis qu’un homme ayant assassiné son épouse sans préméditation est une ordure ; une femme prenant l’initiative de la séduction est forte et courageuse, un homme faisant de même est un violeur en puissance. Et ainsi de suite.
Dissidence et fermeture
Il est désormais techniquement possible de se reproduire sans l’aide des mâles.
Valerie Solanas – SCUM Manifesto
Manifestations concrètes d’un désir des hommes de penser par eux-mêmes, hors des diktats d’un système médiatique aux ordres d’une Inquisition morale qui délivre ou non l’Imprimatur, qui censure et caricature tout ce qui s’oppose à elle les groupes de discussion et d’échange entre hommes de la manosphère constituent à la fois le début d’une forme de secessio plebis virile, d’une résistance intérieure et l’un des derniers espoirs de civilisations occidentales sur le point de basculer dans le chaos. Ces groupes sont discrets, souvent fermés, parce qu’ils ont besoin de l’être : ils excluent souvent sans préavis les personnes qui leur semblent indignes de confiance ou être venues là pour espionner, troller ou dénoncer aux autorités compétentes. Car les points de vue masculins sont bel et bien, aujourd’hui, des points de vue déviants, interdits, pénalisés avec ou (le plus souvent) sans procès. Si vous êtes un homme sous Pilule Rouge aujourd’hui, vous êtes dans une situation comparable, mutatis mutandis, à celle d’un sympathisant de gauche dans l’Amérique de Joseph MacCarthy : sur une simple dénonciation, il est possible que l’opprobre soit jeté sur lui, qu’il se trouve sanctionné, exclu, et ce sans aucune forme de procès. Sur la base d’un crime de pensée.
Bien entendu, cette fermeture sur elle-même de la communauté des hommes sous Pilule Rouge n’est pas sans conséquences : l’isolationnisme a aussi ses défauts, et le moindre d’entre eux n’est pas le psittacisme, c’est-à-dire la tendance, effet d’écho aidant, à répéter toujours les mêmes choses, ressasser toujours les mêmes concepts. Ce danger existe, c’est un fait. Mais il convient de se souvenir que les espaces virtuels de la manosphere n’existent que pour une seule raison : l’absence du moindre espace réel équivalent.

Une réécriture autiste du marxisme
En outre, cet isolationnisme lui-même n’est, à tout prendre, qu’un effet miroir de l’isolationnisme féministe institutionnalisé. Car même si le discours féministe est aujourd’hui dominant, il n’est pas moins isolé que celui de la manosphère ; en réalité, il l’est même beaucoup plus : rien, ou presque, dans le discours dominant, ne saurait venir lui porter la contradiction, ni même la moindre nuance. Rien, non plus, n’est autorisé à le contredire. Le féminisme d’aujourd’hui est à la société occidentale ce que le marxisme-léninisme était à la société soviétique : une idéologie officielle atteinte d’autisme, enseignée comme une vérité première et inattaquable, défendue par l’ensemble de la presse et des médias officiels. Et cette idéologie officielle ne cesse, jour après jour, année après année, de se répéter, de se redire, de se réécrire.
Tout comme le marxisme-léninisme, le féminisme contemporain a besoin d’un ennemi. Celui-ci ne saurait être la bourgeoisie, puisque le féminisme est une expression de la bourgeoisie marchande, hédoniste et individualiste. La bourgeoisie a donc été remplacée par le patriarcat. Et le prolétariat, par les femmes. Ce qui, en soi, est une idée assez brillante.
Car la bourgeoisie et le prolétariat relèvent de notions bien définies : les bourgeois, ce sont les propriétaires des outils de production ; les prolétaires, ce sont ceux qui sont soumis à l’impératif capitalistique et doivent travailler pour vivre, en ne recevant qu’une partie du fruit de leur travail, puisqu’une autre partie se trouve captée par le bourgeois. Ce sont des concepts opératifs : il est par exemple possible de compter le nombre de bourgeois et de prolétaires au sein d’une société ; possible d’évaluer les transferts de richesse d’une classe à une autre ; possible, si on se propose de mettre fin à l’oppression bourgeoise, de mesurer objectivement la progression de cette entreprise ; possible, enfin, de savoir de manière rationnelle et objective si un prolétaire est ou n’est plus l’esclave de la bourgeoisie. Bref : quoi que l’on pense de cette idéologie, elle a le mérite de permettre de mesurer de manière claire et précise les concepts qu’elle manie.
Rien de tel dans le féminisme : les femmes seront toujours des femmes, et à ce titre, leur statut dans l’idéologie ne changera jamais ; elles seront toujours des victimes. Le patriarcat, quant à lui, est une structure floue et polymorphe, une sorte de grosse boîte dans laquelle on peut ranger à peu près ce que l’on veut. Finalement, la seule définition opérative du patriarcat d’un point de vue féministe est « tout ce qui opprime les femmes ». Mais comment définir l’oppression ? Simple : on est oppressée quand on se sent oppressée. Le passage du marxisme-léninisme au féminisme permet donc de rendre la lutte infinie et les oppositions absolues, puisqu’aucun fait précis ne vient déterminer la progression de la cause. Tant qu’une femme se sentira oppressée, il y aura oppression. Le patriarcat est donc considéré comme oppresseur sur la base, purement déclarative, de celles qui s’en plaignent. L’avantage d’un tel flou est qu’il rend impossible de déterminer quand les objectifs sont atteints. On peut donc poursuivre les revendications à l’infini. Et continuer, donc, à l’infini, à faire des hommes soit des esclaves honteux d’eux-mêmes et cantonnés au statut de satellites lèche-bottes, de métrosexuels décadents ou d’ennemis à abattre.
La manosphère et le malaise masculin
Tout cela contribue, petit à petit, à forger chez les hommes contemporains, même ceux dont le traitement Pilule Bleue est le plus intense et le mieux suivi, le sentiment que quelque chose cloche. En l’absence de lieux d’expression et de rencontre dans le vrai monde sans pixels, intégralement colonisé, les hommes en sont donc réduits à retrouver, par le biais de sites, de médias sociaux, de communautés en ligne, des modes de sociabilité et d’échange purement masculins. Beaucoup s’y sentent d’ailleurs plus à l’aise que s’ils avaient à réellement se déplacer pour rencontrer d’autres hommes : le relatif anonymat du web aide, en la matière, tout comme le fait qu’ils n’ont pas besoin que leur compagne soit au courant de leurs douteuses (et forcément nauséabondes) fréquentations. En parallèle, l’usage de pseudos, de chats vocaux et autres canaux assurant une relative discrétion mettent les hommes désireux de communiquer entre hommes, d’échanger des expériences de vies et des avis d’homme à homme, dans une situation de quasi-clandestinité. C’est ce que je constate tous les jours, par exemple, sur la page Facebook de Neo-Masculin : plusieurs centaines de personnes (quasiment exclusivement des hommes) la suivent sans la Liker officiellement, comme s’ils voulaient pouvoir bénéficier de ce qui y est diffusé, mais sans que leur femme, leurs collègues de bureau ou leur patronne le sache. Et ce en dépit du fait que nous sommes loin de diffuser les contenus les plus véhéments, ni les plus machistes, de la manosphère : à vrai dire, nous nous situons sur un axe très modéré. Ceux qui en viennent à ce type de consultation discrète, et presque honteuse, ont parfaitement intégré leur statut dans la société actuelle, et commencent d’ores et déjà à appliquer des principes de clandestinité : consciemment ou non, ils savent qu’ils sont devenus des opposants.

D’autres, plus courageux, plus inconscients ou plus en colère, s’impliquent dans un certain nombre de réseaux, groupes, cercles de discussion. Et le moins qu’on puisse constater, à l’examen de ces groupes, est leur incroyable richesse. Il faut bien entendu faire le tri : pour un peu de bon grain, il y a beaucoup d’ivraie ; pour un peu de sagesse, beaucoup de haine, de cri, de violence verbale. C’est normal. Ceux qui crient le plus fort et de la manière la plus véhémente sont d’ailleurs souvent ceux qui restent le moins longtemps, et quittent ces groupes dès qu’une nouvelle nana leur a mis le grapin dessus. Les autres, cependant, échangent et produisent une quantité d’informations et de concepts considérable, et contribuent conjointement à l’ouverture des yeux et des esprits quant aux réalités d’un monde totalement gynocentré, dans lequel les hommes sont, peu à peu, renvoyés vers les extrêmes : aux ultra-riches le prestige, la gloire et l’accès aux femmes ; aux autres un statut d’Intouchable et de maudit. Ce qui n’est rien d’autre que ce que prédisait autrefois Houellebecq dans Extension du Domaine de la Lutte, ouvrage visionnaire s’il en est.
Aussi imparfaites et embryonnaires soient-elles, ces communautés en ligne sont les premières pierres d’un vaste édifice de reconstruction de l’identité, de la rationalité et de la pensée masculine au sens large. Il ne s’agit plus de quelques intellectuels isolés soulevant le problème de l’aliénation des mâles : il s’agit d’hommes du quotidien, échangeant, réfléchissant ensemble, mettant en place des stratégies, des plans d’action, des méthodes, des modes de réflexion. Il s’agit d’hommes réalisant non seulement qu’il existe un impératif gynocentrique dans nos sociétés, mais aussi que cet impératif va à l’encontre de l’intérêt des hommes au sens large. Ni même dans l’intérêt des femmes, d’ailleurs, car l’impératif en question nie toute part de liberté et d’individualité aux femmes, les reléguant à un modèle à suivre et un seul et niant leur droit à faire certains choix de vie.
Face à ce monde qui est, à bien des égards, devenu un vaste asile de fous à ciel ouvert (et en écrivant cela, je suis pour les tenants du politiquement correct un salopard validiste, c’est à dire un être méprisable parce qu’il considère que la santé mentale est préférable à la folie, de même que la santé physique est préférable à la maladie), la manosphère, pour bien des hommes, est un havre. Elle est l’occasion non seulement d’échanger et de partager des expériences, mais aussi, et surtout, de réaliser que non, ça n’est pas moi qui suis fou : oui, d’autres vivent les mêmes choses que moi; d’autres souffrent des mêmes maux. Peut-être n’y a-t-il pas, à tout cela, de réponse satisfaisante et immédiate, de système d’action tout fait et qui s’appliquerait universellement; mais informer et s’informer, diffuser des idées et des concepts, susciter des débats et éveiller des consciences, c’est déjà quelque chose. Et même si, au final, elle ne faisait que cela, même si elle se contentait de permettre à des hommes qu’ils ne sont pas seuls et que leurs problèmes s’inscrivent dans un schéma général, la manosphère aurait déjà rempli une mission d’une incomparable importance.
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