Témoignage : Line et Karim

Nous inaugurons avec cette article un nouveau type de contenus : des récits de vie, témoignages de personnes diverses, qui nous ont été transmis de manière anonyme ou qui nous sont parvenus par le biais de la vraie vie sans pixels. Les noms et certains détails ont été changés, afin de protéger l’anonymat des gens qui nous ont confié leur histoire. Les récits sont toutefois authentiques. Vos propres récits sont les bienvenus (sachant que nous éliminerons ceux qui nous semblent douteux), tout comme sont les bienvenus les commentaires les plus divers. Il ne s’agit ni de juger, ni de victimiser, ni de mépriser qui que ce soit : seulement d’illustrer certains comportements et de mettre en lumière certains modes relationnels, trop souvent ignorés.

Line travaille dans une agence d’événementiel. Karim, c’est son mec. Le genre beau baraqué, qui la faisait craquer quand elle était au lycée à cause de ses jolis muscles et de son côté sûr de lui et un peu macho. Pendant ses études aussi, elle l’aimait bien, Karim : lui, qui a six ans de plus qu’elle et n’a pas le Bac, bossait déjà comme chauffeur-livreur, puis employé dans la logistique. Du coup, le soir, il avait assez de pognon pour la sortir ; à côté de ses potes étudiants, il faisait figure de mec mûr, réfléchi, et qui plus est disposant de moyens financiers bien plus importants que les leurs. Cerise sur le gâteau : Line est en conflit avec son père depuis plusieurs années, suite au divorce de ses parents quand elle était adolescente. Et son père ne peut pas blairer les Maghrébins. Karim a donc, en plus du reste, une qualité sublime : Line sait que sa fréquentation emmerde Papa. Tout pour plaire, donc.

Tout va pour le mieux pendant quelques années. Le petit couple est installé dans un appartement tranquille. On ne peut pas dire que Karim finance les études de Line : ce sont ses parents qui l’aident, à ce niveau. En revanche, grâce à lui, elle vit bien mieux que la plupart de ses copines : l’appartement n’a rien à voir avec une chambre de cité U, il est situé en pleine ville et non pas près des facs, elle n’a pas besoin de petit boulot à côté, etc. Line obtient son diplôme et, après quelques stages, entre dans l’agence d’événementiel où sa sœur travaille déjà. Karim, entre-temps, a perdu son boulot, mais il en retrouve un dans la manutention. En parallèle, histoire de s’assurer un petit revenu supplémentaire, il est devenu autoentrepreneur et propose à l’entreprise où travaille Line de petits travaux divers : transports lors d’événements, montage de scène, etc. Bien entendu, comme ces boulots ont lieu en semaine et à des heures variées, il a bien souvent à poser des jours de congé pour cela. Du coup, il n’a que peu de disponibilités, et Line regrette que, maintenant que rentrent deux salaires, ils ne puissent pas se faire de voyages tous les deux : l’essentiel des congés de Karim sont utilisés pour ces activités supplémentaires, qui mettent tout de même un peu de beurre dans les épinards.

La part versée par Line pour la vie quotidienne du couple, en revanche, n’a pas changé depuis l’époque où elle était étudiante et c’est encore lui qui prend en charge le loyer et l’essentiel des courses. C’est un arrangement qu’ils ont pris ensemble : en contrepartie, elle verse une part importante de son salaire sur un compte joint, « pour financer un gros projet » dans le futur. Ils ne savent pas encore quel projet, mais ils sont jeune, ils ont le temps de voir venir, et qu’ils souhaitent plus tard acheter un logement ou monter une boîte, il leur faudra un apport de départ.

Printemps 2016 : grosse crise dans le jeune couple. Line pleure, trépigne. Elle en a marre. Il n’est jamais là, et toujours crevé, ne veut pas sortir en semaine, joue « au grand frère » (quand il lui dit qu’il ne veut plus qu’ils picolent le soir en dehors des week-ends). Pire : il l’emmerde avec des projets débiles, du genre acheter un appartement ou  faire un enfant. Elle n’a pas envie. Elle est trop jeune, ils ont trop de choses à vivre avant, ça viendra, oui, bien sûr, mais plus tard, en son temps. Il accepte d’attendre encore un peu mais veut un « signe » qui lui montre que les choses sont sérieuses et qu’elles vont vers quelque chose de concret. Il lui propose de prendre deux semaines ensemble l’été qui vient, et d’aller rendre visite à sa famille à lui, au bled : ils sont ensemble depuis presque dix ans maintenant et elle n’a jamais vu le village d’origine de sa famille, ni ses grand-parents et ses oncles, et ce serait important pour lui qu’elle les rencontre enfin. Cela impliquerait qu’il prenne deux semaines de congé sans solde et qu’ils puisent pour cela dans leurs économies mais c’est largement faisable. Elle dit qu’elle va y réfléchir.

Deux mois plus tard, Line annonce qu’elle a besoin de prendre de la distance, de réfléchir un peu. Elle a posé, pour le mois de septembre, tous les congés qui lui restaient dans sa boîte, plus deux mois sans solde. Elle va faire la Thaïlande avec une copine. Comme la copine est fauchée, c’est elle qui l’invite. Karim n’est pas de l’aventure, de toute manière il ne pourrait jamais poser autant de congés. L’expédition exigera l’ensemble de leurs économies, plus un crédit à la consommation, mais après tout, c’est son salaire à elle qui a alimenté ce compte, donc c’est à elle tout cela, n’est-ce pas ?

Karim est estomaqué. Mais il accepte. Parce qu’il est amoureux et croit sincèrement qu’en acceptant une telle chose, il ne va pas perdre Line. Sans doute a-t-il trop regardé de comédies romantiques. L’avant-veille de son dernier jour au travail, Line confie à l’une de ses collègues que de toute manière, elle décidé de quitter Karim, mais qu’elle ne veut pas se prendre la tête avec les histoires d’appartement, de déménagement, de séparation des meubles et autres avant ses vacances. La collègue est un brin choquée. Non pas tant par la méthode, mais à cause du fait qu’en l’absence de Line, elle va plusieurs fois travailler avec Karim, sur divers contrats, et pendant tout ce temps elle devra fermer sa gueule et faire comme si elle ne savait rien.

Quinze jours après son arrivée en Thaïlande, Line diffuse sur son compte Facebook des photos d’elle avec le mec qu’elle a rencontré sur place. Karim n’est pas sur Facebook. C’est donc par l’intermédiaire de son frère, qui, lui, y a un compte et qui est un contact de Line, qu’il verra les photos, plusieurs semaines après, et alors que toutes les collègues de Line (avec qui il est en contact régulièrement pour le boulot) sont déjà au courant. Contactée par téléphone, Line lui fait savoir que ça n’est rien, qu’il ne doit pas s’inquiéter, que c’est juste un pote. Un pote avec lequel elle est tout de même vachement proche sur les images.

Dix jours avant son retour, Line change de ton. Elle explique par SMS à Karim qu’elle a rencontré l’amour de sa vie. Un mec d’une quarantaine d’années, loueur de bungalows en Thaïlande, riche comme Crésus (d’après elle), capable de la traiter comme une princesse et qui va tout laisser tomber pour venir vivre avec elle en France. Du coup, elle a besoin de l’appartement (qui est à leurs deux noms), et l’idéal serait que Karim ait dégagé pour son retour, son nouveau mec arrivant dans deux mois. Karim ne dit rien, il ne peut pas y croire. Il essaie de l’appeler mais Line ne prend pas les communications : pas envie de s’engueuler à distance, ça attendra qu’elle revienne en France.

Au retour de Line, Karim la reçoit avec un dîner aux chandelles, des fleurs et des chocolats ; il lui dit que tout est pardonné et qu’il veut l’épouser, là, tout de suite. Elle lui explique qu’il n’a rien compris, que c’est fini, mais qu’elle est d’accord pour qu’ils soient colocataires encore quelques mois, son nouveau mec ne devant finalement arriver que plus tard. Mais plus tard devient encore plus tard. Puis encore plus tard. Le bel amour de vacances s’est bien entendu foutu d’elle : il a raconté n’importe quoi à la midinette en congés, l’a sauté maintes fois, lui a promis monts et merveilles, et puis plus rien. Il ne viendra pas en France, elle ne la rejoindra pas en Thaïlande. Alpha fucks, beta bucks. Et celui qui continue à payer, en l’occurrence, c’est Karim.

Car Karim s’accroche. Il est aux petits soins, espérant le moindre signe de la part de Line. Mais Line, de son côté, désespère, se dit qu’elle a été trop conne mais rêve encore à son beau blond bronzé. Et puis il y a la pression des copines : pas envie de passer pour une imbécile, d’autant qu’elle a annoncé à tout le monde, et sur tous ses réseaux, que le beau mâle arrivait rien que pour elle, renonçait à sa vie de vacances permanentes pour ses beaux yeux et son petit cul. Et rien. Que dalle. On commence à la prendre pour une mytho. Ou pire : pour une conne qui a été sautée et lourdée sans même se rendre compte du processus. Alors le hamster qu’elle a dans la tête commence à tourner dans sa roue ; et il lui explique tout : que cette liaison était nécessaire pour lui permettre de prendre conscience de la réalité des choses ; qu’en fait, c’est elle qui ne veut pas qu’il quitte tout ce qui lui tient à cœur pour la suivre dans sa pauvre petite vie lyonnaise. Qu’au fond, c’est mieux comme ça, ça restera un rêve, une parenthèse, et désormais elle sait ce qu’il en est de son amour, et que c’est Karim qu’elle aime.

Karim aussi a évolué entre-temps. Il a créé un compte Facebook et a contacté le gars en question. Ils ont parlé. Sans animosité, d’ailleurs : juste entre hommes, franchement. Karim lui a dit qu’il ne lui en voulait pas, qu’il s’était contenté de tirer une pétasse en vacances ; ils ont un peu échangé et se sont quittés, sinon bons amis, du moins sans haine. A la suite de cet entretien, et après mûre réflexion, Karim a décidé qu’il en avait assez. Puisqu’il n’est que colocataire avec Line, il se conduit comme tel : il sort, s’amuse un peu, rencontre quelques nanas, dont une qu’il ramène à l’appartement, un soir où Line est absente.

Quand elle découvre qu’il s’est tapé une fille dans leur plumard, c’est le désespoir, la crise, les larmes, l’hystérie. Karim, qui n’a pas encore vraiment assimilé la Pilule Rouge, tente de la calmer, de la choyer, de se faire pardonner. Ils s’endorment dans les bras l’un de l’autre. Le lendemain, elle lui annonce qu’elle est extrêmement blessée, que tout est de sa faute à lui, qu’elle était sur le point d’accepter sa demande en mariage, mais que là non, ça n’est plus possible, il est un véritable salaud.

Karim est foutu à la porte de son propre appartement. Il rassemble ses affaires et va crécher chez un ami. Aujourd’hui, il est libre. Meurtri mais libre. Il a perdu à peu près tout à part sa vieille bagnole, et a eu à payer sa part de loyer sur l’appartement encore trois bons mois, parce que la pauvre Line ne pouvait pas se permettre une telle dépense, endettée qu’elle était encore de son voyage en Thaïlande. Bien évidemment, du fait de ses rapports tendus avec son ex, plus question pour lui de bosser pour l’agence événementielle de temps à autre : les collègues de Line trouvent que ça met quand même une sale ambiance dans l’équipe, même si elles savent qu’il est efficace et connaît bien les processus. Line a conservé la plupart des affaires du couple. De l’avis général des amis communs (enfin … essentiellement des amies, et de leurs mecs qui disent comme elles), presque tout est de la faute de Karim, qui s’est comporté en salopard et a laissé tomber cette pauvre fille et cette belle histoire à cause d’une minuscule incartade de vacances, vacances auxquelles, d’ailleurs, il n’avait même pas voulu participer.

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