Le poids de l’histoire

Comme tout le reste du vivant, les humains sont le fruit d’une histoire et d’une longue et lente évolution, qui a façonné leur corps, mais également leur esprit et leurs comportements. De génération en génération, nous avons lutté ; contre les éléments, contre les animaux, mais également contre nos semblables, pour l’accès aux ressources et à la nourriture. Les plus aptes ont survécu, se sont reproduits et ont transmis leurs caractéristiques à leur descendance. Nous sommes le produit de ces millénaires de lutte et de sélection. Et à bien des égards, nous continuons à nous comporter comme à l’âge des cavernes.

Une histoire évolutive qui continue à nous concerner

Pour comprendre en quoi les réalités de nos lointains ancêtres nous concernent, il faut se représenter l’histoire de l’humanité dans son ensemble et réaliser combien est court le temps qui nous sépare de l’âge de pierre.

Imaginons que vous représentiez l’humanité. Vous vous êtes levé ce matin à six heures. Il est maintenant vingt heures, et vous contemplez la journée que vous venez de vivre.

Dès votre lever (il y a 50 000 ans ou 14 heures, c’est selon), vous avez eu à vous battre. Durant l’immense majorité de votre journée (ou de votre histoire), vous avez chassé le mammouth comme le lapin, affronté les tribus adverses, prouvé votre valeur face aux autres mâles de votre propre tribu. Vous vous êtes battu pour de la nourriture, pour des femelles, pour des ressources, pour des territoires, pour le feu … cette lutte sans merci, sans honneur ni répit, ce monde où survivent les plus forts, les plus brutaux, mais aussi les clans les plus robustes, les plus astucieux et les plus loyaux entre eux, a été le vôtre de 06h00 à 18h00.

Vers 18h00, nous avons commencé à construire les toutes premières nations, à nous assembler en tribus plus vastes et à créer des sociétés plus complexes. Quelques minutes après, nous développions l’agriculture. L’agriculture entraîne la sédentarité. La sédentarité entraîne la civilisation : puisqu’il y a désormais des champs, donc un territoire, il faut également des bras pour le cultiver et le défendre, des lois pour organiser la vie en société, et des armes pour imposer les lois et chasser les intrus. Nous avons inventé l’Etat. Et à 18h30, nous inventions l’écriture, construisions des pyramides et écrivions la Légende de Gilgamesh.

A 19h00, l’Egypte antique était à son apogée et l’empire chinois commençait sa fabuleuse épopée.

Les premières pages de la Bible hébraïque sont sans doute rédigées vers 19h05. A 19h10, règne Salomon, tandis qu’éclot la civilisation grecque et qu’Homère écrit l’Odyssée. Rome est fondée vers 19h12. A 19h25, l’empire romain s’étend sur la Méditerranée, tandis qu’agonisent, à quelques secondes d’écart, Jules César et Jésus-Christ.

Vers 19h34, l’empire romain s’écroule et commence le Moyen-Âge. La vie de Mahomet se déroule vers 19h38, et la bataille de Poitiers, qui met fin à l’avancée musulmane en Europe, a lieu la minute suivante. Charlemagne est couronné à 19h40. A 19h45, les Croisés sont sous les murs de Jérusalem. A 19h51, Christophe Colomb met le pied sur le Nouveau Monde.

Les tranchées de la Première Guerre Mondiale et les charniers de la Seconde s’ensanglantent vers 19h58. Moins d’une seconde après, nous accordons l’égalité des droits légaux aux femmes. Nous foulons le sol de la Lune à 19h59.

Nous y voilà … il est 20h00… les deux dernières heures ont été mouvementées, c’est le moins qu’on puisse dire.  Il y a dans la rapidité de l’histoire humaine quelque chose de fascinant et de terrifiant à la fois. Sommes-nous au début ou à la fin de notre aventure ? Seul l’avenir le dira. Mais de tout cela, il ressort une chose essentielle : nous sommes tout juste sortis des cavernes. L’immense majorité de notre histoire s’est déroulée à l’âge des chasses sauvages, des tribus primitives et des silex taillés. Il y a parmi nos pères plus de Rahan que de Pic de la Mirandole.

Comptabilité historique

On peut exprimer la même chose autrement : en estimant le nombre des générations passées depuis l’apparition d’Homo Sapiens Sapiens, vers -50 000.

  • Générations passées dans la préhistoire : au moins 2200
  • Générations passées dans l’Antiquité : environ 200
  • Générations passées dans le Moyen-Âge : une cinquantaine
  • Générations passées de la Renaissance à l’époque contemporaine : une trentaine
  • Générations passées à l’époque contemporaine : 2 à 3

Ou, pour exprimer les choses d’une façon encore plus simple : nous sommes mille fois plus des hommes préhistoriques que des hommes contemporains; cent fois plus des hommes de l’Antiquité que des contemporains; vingt-cinq fois plus des hommes du Moyen-Âge que des contemporains; quinze fois plus des hommes de la Renaissance que des contemporains.

Tout cela pour en venir à quoi ?

A un fait simple et clair :  nous sommes des hommes préhistoriques. Dans bien des aspects de notre comportement, nous n’avons que peu changé (et comment aurions-nous changé en si peu de temps ? L’évolution est une force qui agit sur des millions d’années). Dans les rapports de séduction entre les sexes, en particulier, la chose est flagrante. 
Mais surtout, le vernis culturel récent est très superficiel : nos racines plongent plus loin et plus profond que le début du vingtième siècle. Nous sommes les enfants d’un temps long, et nombre de nos tendances actuelles sont issues de mouvements profonds, anciens, quasi tectoniques. On peut prétendre l’oublier. On peut prétendre que ça ne veut rien dire pour nous. Mais quoi qu’on prétende, ça ne change rien : l’histoire vit en nous. Nous en héritons et nous la transmettons. Libre à nous de ne pas en prendre conscience, mais qui souhaite avaler la pilule rouge a intérêt à se souvenir de ce type de vérités : ne pas le faire, c’est se condamner à ne jamais rien comprendre.

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