L’anorexie est une chose sérieuse et grave. Il est couramment admis (si couramment, en fait, que l’argument est aujourd’hui de l’ordre de l’enfoncement de portes ouvertes) que la publicité et le cinéma créent des attentes irréalistes concernant ce à quoi pourrait ou devrait ressembler le corps d’une femme. Ces médias mèneraient donc, consciemment ou pas, une forme de guerre de tranchée contre les femmes en général, en exigeant d’elles qu’elles ressemblent toutes à des actrices hollywoodiennes ou à des mannequins. C’est ce système qui pousserait un certain nombre de jeunes femmes à la dépression, à des troubles alimentaires divers, à des problèmes de santé, voire au suicide.
Une théorie imparfaite
On peut émettre une critique vis-à-vis de cette théorie : nous vivons dans un monde où la perception du réel, toute la perception du réel ou presque, est façonnée par les médias. Les médias disent ce qu’il faut penser, comment il faut le penser, ce qui est bon, ce qui est mauvais, ce qui est insupportable, ce qui nous rappelle les heures les plus sombres de notre histoire et qui il faut élire comme président. Or une grande partie de ceux qui critiquent l’effet de la publicité sur l’image que les femmes ont de leur propre corps vous jureront par ailleurs, croix de bois, croix de fer si je mens je vais en Enfer, que bien sûr que non, ils ne sont pas influencés, eux, en ce qui concerne tout le reste, qu’ils achètent ce qu’ils veulent réellement, qu’ils votent pour quelqu’un qui correspond réellement à leurs convictions (même s’ils n’ont pas lu son programme) et ainsi de suite. Pourquoi donc serait-on perméable à leur influence uniquement sur le sujet du corps des femmes ?
On notera également que ce discours ne fait pas de différence entre le corps malade et le corps sain. On mettra ainsi dans le même sac les jeunes filles qui veulent ressembler à une Scarlett Johanson et celles qui s’identifient un mannequin touché par l’anorexie, comme si vouloir se construire le corps de l’une et sombrer jusqu’à avoir le corps de l’autre était une seule et même chose.
Troisième critique : les mythes, légendes, contes et romans ont toujours mis en scène des êtres exceptionnels à un degré ou à un autre : tout le monde n’est pas Hercule, tout le monde n’est pas Roland, tout le monde n’est pas Eloïse, ni Morgane. La statuaire grecque et romaine, comme celle de la Renaissance, nous présentent aussi des canons de beauté parfois irréalistes. Or, à part des excès façon Don Quichotte (et Don Quichotte, c’est le début de l’ère moderne), on n’a pas trace par le passé d’attitude destructrices du fait de la diffusion de ces mythes, de ces légendes, de ces contes ni de ces romans. On peut donc supposer que les soucis dénoncés par cette théorie sont contemporains.
Une quatrième critique, et non des moindres, tient au fait qu’il est injuste de limiter ce type de reproche à la seule manière dont les femmes sont représentées : il est en effet plus que courant dans l’imagerie publicitaire et cinématographique que les hommes ressemblent tous à des super-héros aux abdos en béton, par exemple. Or dans la réalité, nous ne ressemblons pas tous à Jason Bourne, Captain America, Thor, ni même Vincent Cassel. Et cela a plus tendance à encourager les jeunes hommes à fréquenter les salles de sport qu’à plonger dans l’anorexie.
Il faudrait donc reformuler la problématique, et dire qu’effectivement, le cinéma à grand spectacle et la publicité donnent des corps humains en général un modèle peu conforme à la réalité. Limiter la problématique aux corps des femmes, c’est considérer qu’elles seraient, psychologiquement et mentalement, plus fragiles que les hommes. Ce qui reviendrait à être un immonde machiste. Vous savez bien que ce n’est pas le genre de la maison. C’est pourtant le récit qui est à l’œuvre dans la plupart des discours féministes à cet égard.
Ce discours féministe est-il misogyne ?
On pourrait le croire, en effet, puisqu’en la matière, il prétend qu’un grand nombre de femmes peuvent être forcées à agir d’une manière telle qu’elles mettent en danger leur santé, physique et mentale, au point de plonger même dans l’anorexie suite à une exposition prolongée à des images de femmes elles-mêmes anorexiques. En d’autres termes : si on leur montre l’une de leur semblable atteinte de troubles mentaux, elles tendent à en développer elles-mêmes. Plutôt inquiétant, non ?
D’autant qu’il n’y a aucune raison de limiter le problème au corps et à la santé : s’il est aussi facile de pousser des femmes à des conduites à risque, quid, par exemple, du fait qu’elles votent ? N’est-ce pas risqué de laisser à des êtres aussi influençables une arme aussi puissante qu’un bulletin de vote ? Qui sait ce qu’elles pourraient en faire ? On pourrait bien un jour se retrouver avec, à l’Elysée, un bellâtre quelconque, sans épaisseur ni profondeur, mais chouchou des médias…
Pour un discours sans machisme ni faux-semblants
L’influence des médias sur l’image que les gens ont de leur propre être est bien entendu réelle. Et bien entendu, la souffrance de certaines femmes vis-à-vis de modèles qu’elles ne parviennent pas à atteindre est elle aussi réelle. Mais cette souffrance ne relève pas uniquement d’un problème médiatique, mais bien d’un problème d’éducation et de mentalité. En effet, un (trop) grand nombre de jeunes femmes sont habituées à quelques idées, fausses mais fortes, qui, quand elles se trouvent en contradiction avec la réalité, provoquent un clash intellectuel et psychologique. Ces idées sont :
- L’idée qu’elles sont belles, de toute manière et sans condition, et qu’elles méritent le meilleur, juste parce qu’elles sont elles-mêmes.
- L’idée que, si elles se sentent mal, elles peuvent simplement acheter du bien-être et de la validation sociale (une nouvelle robe, un nouveau maquillage, une nouvelle coiffure…).
- L’idée générale que le monde leur doit quelque chose, et qu’elles obtiendront ce qu’elles souhaitent dans la vie sans (trop d’) efforts.
- L’idée que certes, les médias ont de l’influence, mais seulement sur les autres, pas sur moi, qui ai un esprit critique teeeeellement plus développé que la moyenne.
- L’idée qu’elles sont uniques, merveilleuses, et que tout leur est possible, justement parce qu’elles sont elles. Voir le modèle Bridget Jones : une nana quelconque, ni belle, ni intelligente, ni cultivée, ni charismatique, à demi alcoolo, finalement plutôt emmerdeuse, mais qui malgré tout, et quasiment sans rien faire, décroche un prince charmant catégorie A+.
Au contraire, il est important, pour tous et pour chacun, d’intégrer au plus profond de notre esprit les idées suivantes :
- La beauté sans effort existe mais elle est rare et elle ne dure pas longtemps. Un beau corps est le fruit d’une alimentation saine et d’une activité physique régulière. Rien d’autre. Jamais.
- Rien de ce qu’on peut acheter ne fera de nous quelqu’un de meilleur : ni un vêtement, ni un tatouage, ni un gadget électronique quelconque, ni une pilule miracle, ni une méthode, ni un livre, ni une chirurgie esthétique … rien. Ces choses peuvent rendre votre vie plus facile ou plus confortable, ou vous apporter temporairement un sentiment de validation. Mais elles ne vous rendent pas meilleur. Seul le travail sur vous-même peut vous rendre meilleur.
- Le monde ne nous doit rien. Il n’était pas incomplet avant notre venue au monde, il ne sera pas amputé par notre mort. Notre place est à conquérir, nous ne la méritons pas par notre seule existence.
- Les médias ont une influence sur tout. Ils sont dangereux à tous les niveaux. Leur consommation doit être limitée, faite en conscience et avec beaucoup de distance et d’esprit critique. Une chaîne de télévision, par exemple, sert avant tout les intérêts de son propriétaire, pas des spectateurs.
- Nous ne sommes pas uniques. Ou en tout cas pas autant que nous aimerions le croire. Nous ne réussirons pas à tout faire. Nous n’avons pas tous les mêmes capacités, ni les mêmes chances pour tout. Et se forger un destin est difficile et long.
Tout est donc question de mental et d’éducation. Le fait qu’en règle générale, les hommes tendent à être plus conscients de ces réalités que les femmes (sans doute parce qu’on ne les a pas bassinés toute leur enfance avec des niaiseries et des histoires de prince charmant qui va résoudre tous vos problèmes sans que vous ayez à lever le petit doigt) explique sans doute la raison pour laquelle, quand ils voient Chris Hemworth torse nu, ils ont plus tendance à se mettre à faire des pompes qu’à tomber dans la dépression. Pour autant, il ne faut pas nier la souffrance des jeunes femmes touchées par l’anorexie ou la dépression; mais il convient de pointer du doigt leur éducation et ce que leurs parents leur ont laissé croire, bien plus que les médias en général.
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