La plupart des hommes rationnels et logiques croient qu’ils sont en mesure d’expliquer ce qu’ils pensent, ce en quoi ils croient, les raisons de leurs actes, et sont souvent étonnés quand ils se rendent compte que, la plupart du temps, on ne souhaite pas entendre leurs raisons : dès lors qu’ils ont proféré un principe qui pourrait sembler choquant à leur interlocuteur, les sentiments l’emportent sur la logique. L’orgueil l’emporte sur l’humilité. Le virtue signaling l’emporte sur la raison. Et dès lors, l’honnêteté intellectuelle, le sens de l’ouverture et la capacité à raisonner calmement ne sont plus des vertus, mais quasiment l’aveu d’une faiblesse et surtout d’un manque d’éthique. Car au nom de l’éthique et du sentiment, il convient de cesser de penser. Certaines choses ne sont ni pensables ni discutables. Et quiconque les évoque est un salaud.
La solitude de l’homme rationnel
L’homme qui n’est que rationnel est facilement piégé par de telles méthodes. Le problème, c’est qu’alors, plus il tente de se justifier, plus il tente d’expliquer sa pensée, moins il va être cru, et plus profond il va creuser sa propre tombe. S’il cherche à démontrer, à prouver, à convaincre, il se voue à sa perte. Car les gens pris dans la Matrice rechignent à croire quoi que ce soit qui demande un minimum d’effort intellectuel. Et ils croient dur comme fer que seul le coupable essaie de se justifier : les tentatives menées par l’homme rationnel pour leur expliquer ce qu’il conçoit ne font que les convaincre davantage qu’il ne peut qu’avoir tort. Après tout, s’il avait raison, il saurait leur expliquer les choses en deux secondes, sans entrer dans des détails techniques, sans les assommer de faits, de principes logiques, de faits ni de déductions. En d’autres termes : ils sont tellement habitués aux raisonnements fallacieux que la simple logique leur fait horreur et semble une odieuse agression à leur cerveau paresseux. Ils demandent, ils exigent qu’on leur parle par argument d’autorité.
Pour un idiot, la vérité est évidente, claire, absolue. Elle se justifie d’elle-même, et surtout elle est morale, facile à supporter. Une chose, à ses yeux, est d’autant plus vraie qu’elle ne lui demande pas de remettre en cause ce qu’il croit être ses « valeurs ». Pas tellement ses certitudes, d’ailleurs : un idiot se veut généralement ouvert d’esprit et est prêt à accepter l’idée qu’il se trompe sur tel ou tel point, qu’on ne sait pas tout sur ceci, qu’on ignore encore bien des choses sur cela. Du moment que cela flatte son petit égo, il est même prêt à verser dans des théories farfelues. Mais les valeurs, jamais ! Jamais au grand jamais il ne transigera avec.

C’est d’ailleurs pour cela qu’il est un idiot. S’il avait un peu plus de jugeotte, il se rendrait compte que, s’ils sont convenablement établis, ses savoirs sont, au contraire, des choses sur lesquelles il peut appuyer sa pensée, tandis que ses croyances, nécessairement improuvées, sont justement les domaines de son esprit qu’il doit être prêt à remettre régulièrement en question car elles ne sont utiles que là où les faits manquent.
Un idiot ne faisant aucune différence entre ses croyances et le réel, il tend à régulièrement réécrire les faits : il re-raconte et re-raconte encore toute histoire dans laquelle il a été impliqué, jusqu’à arriver à un point où il n’a jamais eu aucun tort, où tout est toujours de la faute d’un autre, où jamais il n’a mal agi, mal compris, manqué d’humanité ou d’empathie. Jamais il n’a commis de faute, jamais il n’a médit, jamais il n’a menti, jamais il n’a été insuffisant ni faible. Ce sont les autres, toujours les autres, qui ont mal compris, qui ont mal interprété, qui ont dit du mal, qui ont été méchants. Lui est innocent, pur, irréprochable. S’il s’est trompé, c’est qu’on l’a trompé. S’il a été violent, c’est qu’on l’a cherché. Un idiot est donc capable de s’auto-manipuler, de se convaincre qu’il n’a jamais rien à se reprocher. C’est d’ailleurs également l’une des tendances qui l’amènent à rester un idiot : si on est en permanence satisfait de soi-même, on ne risque pas de trouver l’énergie ni la motivation pour s’améliorer. A l’inverse, une part d’insatisfaction de soi, de regret des fautes commises et de volonté de toujours faire mieux plus tard est le lot de l’homme rationnel, qui se sait nécessairement inachevé, incomplet et en perpétuel devenir.
Lorsque l’homme rationnel constate qu’il a affaire à un idiot, il doit être prêt à renoncer à convaincre. Aussi cher que cela lui coûte, il doit, s’il souhaite poursuivre la conversation, se faire machiavélien.
Machiavel comme alternative à la raison
Il n’est pas facile de se faire machiavélien : l’esprit rationnel est habitué à penser, à déduire, à débattre, à recherche la vérité sans voile ni faux-semblant. Il sait que le Vrai existe indépendamment de ce qu’on pense de ce Vrai et que les sentiments personnels n’ont pas à entrer en ligne de compte dans l’idée que l’on se fait du réel, parce que les sentiments sont trompeurs. En cela, l’homme rationel est, sur le plan de la relation sociale, plus bête que l’idiot. Être machiavélien, c’est être capable de se mettre dans la peau de l’idiot.
La difficulté qu’il y a à être machiavélien explique pourquoi si peu d’hommes rationnels sont impliqués dans les petits jeux sociaux de leur lieu de travail, par exemple : pourquoi ils n’ont cure de savoir qui est populaire et qui ne l’est pas, qui déteste qui et pourquoi, qui a dit du mal de la direction et qui est allé cafter, et ainsi de suite. Parce qu’il considère l’intelligence, la culture et la logique comme des vertus, l’homme rationnel pourrait même être tenté, s’il veut briller aux yeux de ses collègues, de leur faire part de ses réflexions, de ses connaissances, de sa compréhension des choses. Généralement, c’est un bon moyen d’être considéré comme un nerd ou, a minima, un être étrange, par la foule des idiots, qui sont incapables d’attribuer de la valeur à ce qu’ils n’ont pas. Au final, cela le dessert.
Communiquer avec un idiot
Car le succès dans le jeu des relations sociales n’a rien à voir avec l’intelligence. Il a à voir avec le sens de la répartie, l’humour, une certaine astuce, une capacité à sourire et à faire sourire, et surtout l’aptitude à faire en sorte que les autres se sentent valorisés à votre contact. Même si au fond de vous, vous les méprisez. Surtout si au fond de vous, vous les méprisez.
Pour devenir machiavélien, l’homme rationnel doit se rendre compte que l’idiot raisonne par sophismes et que la vérité logique lui est étrangère. Il doit aussi comprendre que pour un idiot, ses propres sentiments, sa propre vanité, son propre égo comptent davantage que la vérité ou la raison. Un idiot croit en l’existence d’une Vérité et de Valeurs qui sont à la fois universelles, évidentes et partagées par tous. Si évidentes qu’il n’est même pas besoin de les définir (c’est d’ailleurs un bon moyen de repérer un idiot : il vous dira par exemple adhérer aux Valeurs de la République, mais sans jamais définir ces valeurs ni les expliciter).
Machiavélien, l’homme rationnel comprend également qu’une trop grande honnêteté intellectuelle détruit une part de mystère autour de sa propre personne. Or l’idiot aime le mystère : c’est bien souvent sa curiosité qui le guide et les ténèbres insondables l’attirent. Le machiavélien comprend que si vous êtes réellement compris, vous perdez en charme ; si vous aidez les autres à vous comprendre, vous perdez leur respect car vous leur rendez les choses trop faciles. L’idiot croit que les choses n’ont de la valeur que si elles sont difficiles à obtenir : en rendant votre pensée facile d’accès, vous vous rendez méprisable à ses yeux car vous lui tendez un miroir ; il prend confusément conscience que la seule chose qui l’empêche de penser droit est sa propre paresse intellectuelle et, forcément, il vous en veut pour cela. Il sait aussi, confusément, que ses mensonges et ses auto-manipulations ont quelque chose qui sonne faux, et que l’esprit logique peut, avec un peu d’entraînement, facilement détecter. Aussi se méfie-t-il de celui qui lui semble trop rationnel, car cette raison pourrait bien lui nuire.

En se faisant machiavélien, l’homme rationnel comprend également que les soi-disant valeurs d’un idiot n’en sont pas : en réalité, l’idiot n’a aucune moralité. Il a seulement peur de ce que les autres pourraient penser de lui. Il est semblable à ces êtres qui s’estiment de bons citoyens mais n’évitent d’enfreindre la loi que parce qu’ils craignent le gendarme, et non du fait d’un quelconque sens civique. Au final, seul l’aspect esthétique et social de la morale importe à l’idiot. Et il convient de le flatter en ce sens. De lui faire croire qu’on le comprend, qu’on l’approuve, qu’il a raison de penser ce qu’il pense, de dire ce qu’il dit. Car s’opposer frontalement à ce qu’il nomme ses idées, c’est prendre le risque qu’il se braque, qu’il se sente personnellement attaqué. Dès lors, il se ferme comme une huître et plus aucune conversation n’est possible. Il convient donc non de lui ouvrir les yeux de force mais bien de l’amener, pas à pas, lentement mais sûrement, vers là où on veut l’amener.
Se faire machiavélien, c’est donc accepter le constat, pragmatique, que l’on ne peut user de logique envers tout un chacun. Que pour certains, seule la manipulation la plus éhontée fonctionne, et fonctionnera toujours, parce qu’ils sont imperméables à la simple raison. Qu’il vaut souvent mieux dire aux autres ce qu’ils souhaitent entendre que la vérité nue. Qu’il faut souvent accepter de mentir, de dissimuler ce que l’on sait, de nager avec le courant, si on ne veut pas se retrouver isolé.
Ce n’est pas là un chemin facile, et ce n’est certainement pas le chemin de tous. Pour certains, un tel état d’esprit équivaut à se trahir soi-même et il leur est impossible. Il n’en demeure pas moins, pour nombre d’hommes sous Pilule Rouge, la seule voie possible pour survivre dans un monde d’idiots.
Tout ça pour en venir où ?
Et maintenant que nous voilà parvenus au terme de cet article, peut-être vous demandez-vous pourquoi il se trouve dans la catégorie Sexe et Séduction, et pas dans Penser Juste. La raison en est simple : beaucoup de femmes sont des idiotes. Se faire machiavélien, c’est tout simplement apprendre à parler leur langage.
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