L’idée qu’il faudrait parvenir à une égalité entre les êtres humains fait partie de ces concepts que l’on ne discute jamais, qui vont tellement de soi qu’il ne convient même pas de s’y attarder. On souhaite l’égalité, on lutte contre les inégalités. Pourtant, l’idée même d’une égalité absolue, abstraite, a quelque chose d’étonnant, et qui mérite qu’on y réfléchisse un instant.
Une égalité purement théorique
Il n’y a aucune égalité dans la nature : la notion d’égalité, mathématique à la base, est entrée dans le champ moral et politique à une date relativement récente. De manière générale, il n’y a pas non plus de supériorité ni d’infériorité absolue dans la nature : un ours polaire n’est pas supérieur à un lion. Mais selon que l’on place les deux animaux sur une banquise ou dans une savane, l’un des deux survivra et l’autre mourra rapidement. Un pommier n’est pas supérieur à un cocotier mais selon qu’on plante les arbres en Normandie ou aux Antilles, leur destin sera très différent. La nature et l’évolution ne reconnaissent que deux vertus : l’adaptation à l’environnement et la capacité à procréer. La diversité des capacités entre les individus au sein d’une même espèce (le fait que certains soient plus rapides, d’autres plus robustes, d’autres plus petits, d’autres plus malins, etc.) est, pour cette espèce, une forme de garantie : elle assure en effet que si l’environnement change soudain, certains individus seront assez adaptés aux nouvelles conditions pour assurer malgré tout la survie de l’espèce. L’inégalité fondamentale entre les individus est donc non un problème, mais bien une vertu pour une espèce.
Il en va de même pour les humains : le monde nous envoie en permanence des épreuves sur le coin de la figure. Certaines nous sont pénibles, d’autres nous sont bénignes. Mais le fait que nous y survivions ou non, facilement ou non, indique des degrés variables d’adaptation à l’environnement et de capacité à réagir à ces épreuves. Ce n’est pas pour rien que ce qui semble quelconque à votre voisin peut vous être douloureux, ni si ce que vous parvenez à faire avec facilité semble insurmontable à un autre. C’est d’ailleurs de ces inégalités, et de la nécessité pour le groupe à mettre en commun les talents et les capacités les plus divers, qu’est né le besoin de créer des sociétés et des civilisations. Sociétés et civilisations qui, en retour, ont permis à des individus dont les capacités singulières n’étaient pas forcément utiles dans la nature sauvage (artistes, chercheurs, conteurs, philosophes…) de contribuer eux aussi au groupe et de l’enrichir de leurs compétences. Dire que la diversité est nécessairement une richesse n’a aucun sens quand on parle de diversité ethnique. En revanche, l’expression est parfaitement vraie quand on parle de la diversité des capacités des individus amenés à collaborer entre eux.
Il n’y a donc aucune notion naturelle d’égalité : les individus sont divers, singuliers et variés. S’ils obéissent tous aux impératifs de l’espèce et à ceux de leur sexe, ils le font avec des capacités et des possibilités personnelles qui varient du tout au tout. Ce qui ne veut pas dire que vous n’avez pas votre libre arbitre. Mais celui-ci est limité par un certain nombre de faits auxquels vous ne pouvez rien. On pourrait se représenter cela comme une partie de poker : vous recevez vos cartes et vous ne pouvez pas les choisir (ça, c’est : votre biologie, votre éducation, votre bagage génétique, etc.). En revanche, vous décidez de la manière dont vous allez les jouer (votre part de libre arbitre). Mais en plus, à tout moment les règles peuvent changer sans que vous soyez prévenu à l’avance (votre environnement). Croire en une égalité autre que purement légale entre les êtres, c’est croire que dans ces conditions, chacun va, grosso modo, se débrouiller à peu près aussi bien autour de la table de jeu…
Égalité et égalitarisme
La notion contemporaine d’égalité, ou plutôt d’égalitarisme (c’est à dire l’idéologie qui promeut l’idée d’une égalité absolue entre les êtres), fait fi de tout cela. Elle prétend en effet que tous les humains sont égaux en capacités (alors qu’au regard de la loi, ils ne sont égaux qu’en droits, ce qui n’est pas du tout la même chose), qu’on peut faire en sorte, par des dispositions légales, qu’ils soient même égaux en chances, de manière à ce que seul le mérite personnel fasse la différence entre le destin de chacun. Cette idée prétend même qu’il faudrait « lutter contre les inégalités » (et non pas contre les injustices). Non seulement cette idée est absolument fausse, mais en plus, au nom de l’individualisme, du fait de laisser sa chance à tous et à chacun, du fait de ne procéder à aucune forme de discrimination, elle amène à nier le caractère réellement singulier de chacun.
Cette idée est d’autant plus sotte qu’elle permet tout à la fois d’ignorer les échecs et les succès d’une personne. Si une personne rencontre le succès dans sa vie, on ne dira que rarement qu’elle a travaillé dur pour cela ; on dira encore moins (alors que c’est généralement plus vrai encore) qu’elle avait le potentiel génétique, familial, social, culturel, pour réussir. On dira plus souvent qu’elle a eu de la chance, avec l’idée, en arrière-plan, que cette chance a quelque chose d’injuste pour les autres. A l’inverse, face à l’échec, on pointera du doigt la malchance, éventuellement le manque de travail. Mais jamais on ne dira : « Il a échoué parce qu’il n’avait pas le bagage génétique qui lui aurait permis de réussir, et parce qu’on lui a fait croire qu’il avait quand même sa chance. ». En niant ainsi les causes premières de nombre de succès ou d’échecs, et en les attribuant seulement à la chance et au travail personnel, on nie plusieurs choses :
- La singularité réelle des individus et le fait que tout le monde n’est pas capable de tout faire, même avec la meilleure éducation qui soit ;
- Le fait que la nature (et la société qui en est issue) est fondamentalement injuste et le sera toujours ;
- Le fait que le succès de ceux qui réussissent ne prouve aucunement une supériorité absolue mais seulement une adaptation contextuelle aux conditions de leur milieu propre.
On notera également un point assez intéressant : il n’existe pas de civilisation égalitaire. Les seuls groupes humains dans lesquels les individus sont parfaitement à égalité les uns avec les autres, sans castes, sans honneurs particuliers, sans titres ou autres, sont des tribus primitives. Dans tous les autres groupes, il y a des inégalités. Et pour cause : c’est sur la base de la différenciation entre les fonctions des individus et des groupes sociaux que se construisent les cités, les États, les civilisations. Pour que des individus non directement productifs (cela va du romancier à l’architecte, du médecin à l’astrologue, du sorcier au physicien nucléaire, du soldat au comptable : bref, tous ceux qui ne produisent pas directement des biens ni de la nourriture) puissent survivre et contribuer à la société, il faut bien que quelqu’un travaille (aux champs ou à l’usine) pour leur fournir de quoi manger, se loger, se vêtir. Il faut donc qu’existent des inégalités. Or ce sont ces individus non directement productifs qui font une grande partie de l’innovation, de la culture, de l’évolution d’une société. Une société sans aucune inégalité est une société qui ne quittera jamais le stade de la hutte en bouse séchée. Ce qui ne veut pas dire non plus que les inégalités garantissent une quelconque vitesse d’évolution ou d’innovation : il y a des sociétés très inégalitaires qui sont restées très primitives. En revanche, l’absence d’inégalités garantit bel et bien la stagnation : pourquoi un individu exceptionnellement doué voudrait-il se crever à réaliser de grandes choses si en contrepartie il a la garantie que ni lui, ni sa famille, ni ses enfants, ni son clan même ne s’en sortiront mieux au final ? Il peut exister quelques authentiques philanthropes mais force est de constater qu’ils sont rares.
Les zones aveugles de la sainte égalité
De manière assez étrange, l’égalitarisme a ses œillères et ses zones aveugles. Ainsi, s’il ne reconnaît que le travail et le mérite personnel comme cause juste du succès de certains et prétend que la génétique n’a rien à y voir, il devient soudain tout à fait conscient de ladite génétique quand la personne fait partie d’un groupe considéré comme privilégié ou opprimant. On désignera ainsi comme privilégiés les Blancs, surtout si ce sont des hommes, et on dénoncera comme injustes au moins une partie de leurs succès. A aucun moment on ne prendra en compte le fait que, dans un monde qui a été pour l’essentiel pensé, inventé, conçu, construit et organisé depuis au minimum les deux-mille dernières années par des hommes d’origine européenne, il n’est pas étonnant que les membres des groupes dominants se recrutent en grande partie parmi les hommes d’origine européenne. C’est le contraire qui serait très étrange. Que certains hommes européens soient mieux adaptés à ce monde que des individus d’autres groupes est à peu près aussi étonnant que le fait que le lion soit mieux adapté que l’ours polaire à la savane. Pourtant, cette différence est perçue comme scandaleuse : même si, dans les faits et dans le cadre de son histoire personnelle, un homme blanc européen ne doit son succès qu’à lui-même, il sera, de toute manière et par principe, considéré comme bénéficiant de privilèges auxquels d’autres n’auraient pas droit.
Un autre paradoxe de la pensée égalitariste est qu’elle met en avant les individus et prétend que chacun est unique et d’une précieuse singularité. Aux yeux de ce que le monde contemporain appelle égalité, rien, dans l’idiosyncrasie physique d’une personne, ne permet de prédire son succès face à telle ou telle situation : ni son sexe, ni son ethnicité, ni sa génétique en général. Les différences ne proviennent que de l’éducation, des « chances », du travail personnel. La biologie n’est rien, le caractère personnel est tout. Que le caractère personnel puisse être le résultat de la biologie est un point tout à fait négligé, au nom de l’égalité.
Nous sommes donc tous égaux mais tous différents. Tous différents mais tous identiques. Tous identiques mais tous des exceptions à la règle, parce que nous sommes merveilleusement uniques. Le fait d’affirmer une chose et son contraire et de croire les deux vrais a un nom : la dissonance cognitive.
On notera que cette dissonance connaît des exceptions : ainsi, s’il est grossier, et le fait d’une horrible généralisation, de prétendre que les femmes (dans leur ensemble ou en tant que groupe) obéissent à certains schémas comportementaux, il n’est pas immoral de désigner les hommes, tous les hommes, comme des prédateurs potentiels. S’il est horriblement raciste d’émettre des doutes ou des craintes concernant un groupe ethnique, voire de l’exclure de certains événements ou lieux, ça ne l’est plus quand ce groupe ethnique est composé de Blancs. Il est de bon ton de louer les capacités culturelles de tel ou tel groupe lointain, de chanter les louanges de cultures exotiques. Mais mettre en valeur la sienne propre est terriblement chauvin. Pourtant, si on est bien tous égaux et que toutes les cultures se valent, pourquoi ne pourrait-on aimer celle dans laquelle on est né ? Parce que. C’est ainsi.
S’il est immoral de parler d’évolution et de considérer qu’un individu est déterminé en grande partie par son histoire génétique, il est en revanche tout à fait possible de considérer quiconque adhère à l’idéologie égalitariste comme « plus évolué », « en avance », par opposition à quiconque n’y adhère pas, forcément considéré comme « réactionnaire », « vieux-jeu », « néanderthalien », et ainsi de suite.
Égalité hommes-femmes
De la même manière, parce que nous sommes tous égaux, une femme peut savoir et comprendre comment un homme vit et comment il devrait se comporter (alors même que son propre dosage en testostérone, 15 fois inférieur à celui d’un homme, ne lui permettra jamais d’avoir la moindre idée de ce que peut être l’expérience quotidienne d’une vie masculine) ; mais un homme ne pourra jamais vraiment comprendre une femme, parce que … ben parce que c’est un homme, na !
Mais parce que nous sommes tous égaux, ou en tout cas devrions l’être, il faut, par exemple, davantage aider les femmes à devenir entrepreneurs, à entrer dans certaines écoles, etc. Parce que nous sommes tous égaux mais quand même, la société est méchante avec elles alors ce n’est pas de leur faute. Ce n’est tellement pas de leur faute qu’à réussite professionnelle identique, une femme sera perçue comme exceptionnelle, héroïque, tellement brillante et charismatique et inspirante pour les autres femmes ; alors qu’un homme sera juste perçu comme chanceux, ou ayant su profiter des bonnes opportunités. L’héroïsme de la nana en question sera souligné même si elle a bénéficié de soutiens spécifiques, de priorité d’entrée dans certains groupes ou certaines études, de passe-droits « parce que c’est une femme et qu’il faut la soutenir », et ainsi de suite. Bien entendu, ce privilège flagrant sera le plus souvent justifié par le fait qu’Il faut davantage de femmes dans tel ou tel secteur. Sans, généralement, qu’on se demande pourquoi au juste. L’égalité, d’ailleurs, n’est réclamée que pour les postes prestigieux ou enviables : nul ne milite, en revanche, pour une parité dans les mines, parmi les éboueurs, ni parmi les gens qui se battent au front. Que de tels domaines d’activité restent l’apanage des hommes de semble pas choquer. Pas plus que ne semble choquer le fait qu’une écrasante majorité des sages-femmes, des instituteurs ou des aides à domicile soient des femmes. Faut-il imposer un quota d’hommes ?
L’égalité n’est donc pas si égalitaire que cela : si nous sommes tous égaux, certains le sont visiblement plus que d’autres dans les faits. Ainsi, pour parvenir à une « égalité réelle » entre hommes et femmes, par exemple, il conviendrait d’aider davantage les femmes, de leur octroyer davantage de privilèges et de passe-droits, de possibilités et de soutiens. Et quand saurons-nous que l’égalité réelle est réalisée ? Facile : quand elles nous diront qu’elles n’ont plus besoin de privilèges supplémentaires. Ce qui arrivera forcément un jour, bien entendu : il suffit de leur faire confiance.
En conclusion
L’égalité devant la loi est, en soi, une bonne chose : elle garantit à tous les mêmes droits (et devrait aussi garantir les mêmes devoirs, ce qui est très loin d’être le cas dans les faits). En revanche, faire sortir la notion d’égalité du strict domaine légal est une absurdité. Il ne peut y avoir d’égalité entre des individus qui diffèrent par ailleurs en tout. Si on balance un renard au milieu d’un groupe de poules, on peut très bien décréter que chacun est libre et égal aux autres, il reste un renard et elles restent des poules. Quelqu’un va faire un bon repas. Quelqu’un d’autre va se faire tuer. Prétendre à une quelconque égalité ontologique en la matière n’a aucun sens. L’idéologie égalitariste, en faisant à la fois la promotion de l’égalité et celle de la singularité, n’est pas sans rappeler celle de l’Angsoc : comme le Parti dans 1984, en effet, elle n’hésite pas à proclamer une chose et son contraire, certaine que son auditoire est assez décervelé pour ne pas y voir de contradiction. Négation du réel au profit de la ligne du Parti, désignation de boucs-émissaires : l’égalitarisme contemporain se place bel et bien dans la lignée des grandes idéologies totalitaires du siècle passé. Idéologie d’accompagnement du mondialisme libéral, l’égalitarisme est nécessaire à celui-ci : il permet, en prétendant que ne comptent ni le sexe, ni la culture, ni l’éducation, ni la nation, de supposer des humains interchangeables, narcissiques et solipsistes, tous tellement persuadés de leur propre unicité qu’ils en deviennent incapables de penser le bien commun, ni le destin collectif.
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