L’homme contemporain a ceci de particulier qu’il est généralement obsédé par les objets les plus divers et passe une part considérable de son existence à trimer pour les acquérir. Quand il a la chance de vivre en Occident, il s’entoure de tonnes de gadgets tous moins utiles les uns que les autres, mais que le marketing et la publicité lui font considérer comme indispensables. Quand il ne vit pas en Occident, il ne rêve bien souvent que d’y vivre, et ce afin d’y faire exactement la même chose : accumuler, encore et encore, machins, trucs et bidules. Qu’il travaille 35, 40 ou même 50 heures par semaine, il est rare que les revenus de l’homme occidental moderne lui permettent d’étancher sa soif de posséder. Et ce d’autant moins que, même s’il feint de l’ignorer, le vide intérieur qui le ronge ne saurait être comblé par des biens de consommation. A telle enseigne qu’on est en droit de se demander qui, de l’homme ou de l’objet, possède l’autre. Bien souvent, nous sommes en effet possédés (au sens de propriété comme au sens démonologique du terme) par les choses, bien plus qu’elles ne nous appartiennent. Il faut dire que, perdu au milieu de toutes ces choses, il oublie bien souvent la plus importe : lui-même.
Face à cette menace de dévoration de notre propre être, existe une idée, une manière de vivre, ou, à tout le moins, une idée vers laquelle on peut tendre : la frugalité. Il ne s’agit en aucun cas de se priver. Il s’agit de se reconcentrer sur soi. Se demander ce qui nous rend réellement heureux. Pas juste content. Pas juste distrait. Pas simplement fier de posséder ceci ou cela. Heureux. Complet. Plein.
Il ne s’agit pas de renoncer à la notion de possession. En soi, le fait de posséder des objets n’a rien de mauvais. Mais comme toute chose, il y a une question de degré, de modération à observer. Une question de sens, aussi. Il n’est que trop courant que l’homme contemporain assigne à ses possessions une mission de définition individuelle. En d’autres termes : il se définit non par ce qu’il fait mais par ce qu’il possède. Songez par exemple que sur le site Adopte Un Mec, il est possible de sélectionner les profils du sexe opposé en fonction du fait qu’ils utilisent ou n’utilisent pas un produit Apple. Cela signifie que pour certains utilisateurs (ou, au moins, pour les développeurs du site), le fait de posséder ou de ne pas posséder un iPhone est un critère pertinent pour choisir son partenaire sexuel ou sentimental.
Une seule chose à la fois : un premier pas vers la frugalité
L’une des meilleures façons d’échapper à l’emprise des objets et de libérer son esprit est de cloisonner ce dernier. Il n’est que trop fréquent que nous ne soyons pas à ce que nous sommes : nous discutons avec des amis tout en suivant d’un œil nos réseaux sociaux sur notre smartphone ; nous rentrons chez nous pour nous occuper de nos enfants mais les problèmes du bureau continuent à tourner dans un coin de la tête ; nous regardons un film en famille et lisons dans le même temps un article sur une tablette.
De telles attitudes ne sont ni respectueuses pour les autres, ni saines, ni reposantes. Le premier pas vers une plus grande frugalité consiste, tout simplement, à accepter l’idée qu’on ne peut pas tout avoir en même temps. A se forcer à être là, à ce qu’on est, à ce qu’on fait. Attribuer un temps à chaque chose mais essayer de faire chacune pleinement. Et peut-être, sans doute, même, accepter l’idée que certaines choses passent après d’autres, qu’on peut renoncer à certaines activités sans qu’il nous en coûte tant que cela.
La dette est un esclavage
L’homme qui veut se libérer de cet esclavage moderne qu’est le consumérisme a tout intérêt à se libérer d’abord et avant tout de ses dettes. Là encore, il s’agit d’être raisonnable : certaines choses ne peuvent pas s’acheter cash. Cependant, à l’exception d’un véhicule, d’un logement ou éventuellement d’études, rien ne mérite que vous vous endettiez. Et surtout pas un gadget qui, quoi que vous en pensiez aujourd’hui, parce que votre esprit est embrumé par la publicité, ne vous rendra pas plus heureux.
Quelques bonnes questions à se poser
Ai-je vraiment besoin de cette armoire pleine de vêtements que je ne mets pour la plupart jamais ? De cette bibliothèque remplie jusqu’à la gueule de bouquins déjà lus, et que pour la plupart je ne relirai pas ? En quoi cela me sert-il de consacrer un bon tiers de la superficie de mon appartement à des objets inutiles et souvent laids, dont je ne me sers pas ? Si je n’avais que trois ou quatre valises pour empaqueter ce dont j’ai réellement besoin, ce qui est réellement important pour moi, que mettrais-je dedans ?
Petit exercice de frugalité
Il peut être intéressant de faire le tour de son propre logement et d’y noter tout ce qu’on y a et qui n’a pas servi depuis plus de six mois. Une fois cela fait, sélectionner une certaine proportion de ces choses inutiles (à commencer par celles ayant le moins servi par le passé et auxquelles vous n’êtes pas sentimentalement attaché) : au moins un dixième, peut-être même jusqu’à un quart. Et s’en débarrasser. Les jeter, les donner ou les vendre, au choix et selon leur valeur, leur usage et leur sens pour vous. Vous serez surpris du sentiment de légèreté et de libération qu’on ressent alors. Répéter l’opération chaque début de mois.
Le pouvoir de dire non
Un autre exercice merveilleusement efficace consiste, tout simplement, à dire non. Et en particulier, non au consumérisme stupide :
- Non, je n’achèterai pas de nouveau téléphone tant que l’ancien marchera.
- Non, je n’ai pas besoin de nouveaux livres tant que je n’ai pas fini ceux que j’ai en cours.
- Non, je n’ai pas besoin d’acheter davantage de nourriture : mon frigo est plein ; la seule chose dont j’ai besoin, c’est de prendre le temps de cuisiner un peu.
L’exercice est simple, et pourtant si rarement pratiqué aujourd’hui : il consiste tout simplement à ne faire l’acquisition que de ce dont on a réellement besoin. Sans se priver en aucune manière. Mais exclusivement des choses que l’on sait être utiles
Regarder la vérité en face
La frugalité, enfin, pousse à accepter la réalité telle qu’elle est : une fois écartés les soucis matériels et physiques de base (c’est à dire sitôt que l’on a de quoi manger, de quoi se vêtir et de quoi se loger), aucun bien matériel ne fera jamais le bonheur de qui que ce soit. Aucun bien matériel ne comblera le vide existentiel, ontologique, qui est au creux de l’âme de l’homme moderne. Le matériel peut certes amener du confort. Il peut amener de la distraction, voire du plaisir. Mais il ne répondra pas à vos manques profonds, à vos manques réels. A cela, seul un travail sur vous-même, profond, long, opiniâtre et courageux (car il s’agit de regarder en face ses propres démons) pourra peut-être répondre. L’amitié, l’amour, la famille, un engagement idéologique profond, un rapport intime au sacré et à Dieu, la philosophie, le sens de l’accomplissement d’une mission … tout cela, également, peut contribuer à combler ces troubles et ces manques. Mais certainement pas une nouvelle chemise. Et croire qu’un objet matériel peut répondre à vos angoisses, à vos doutes, à votre vide intérieur, c’est jeter sur votre propre être un regard de colossal mépris.
La voie de la frugalité est donc avant tout une voie de simplicité et de respect de soi. Il ne s’agit pas de devenir un moine : juste d’être un peu plus sage. De ne pas se laisser coloniser ni réduire en esclavage par les objets. Mais également de ne pas laisser le fruit de son travail partir en fumée. Parce que l’argent est durement gagné, il est précieux. Il représente du temps passé à travailler, à stresser, à s’épuiser, à fréquenter des imbéciles. Le dépenser en vain est une insulte que l’on fait à soi-même. Il est d’ailleurs souvent utile de se souvenir de son taux de revenus horaires, et, lorsqu’on est sur le point d’acheter quelque chose, de faire la conversion : « Ce machin représente quatre heures de travail. Quatre heures à me faire suer au bureau, à écouter les rengaines de Machin, à boucler le dossier Truc. Ai-je envie de convertir quatre heures de mon travail en cet objet ?
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