L’argument d’autorité est une forme extrêmement courante d’argument fallacieux. On le trouve présent dans le discours médiatique, en particulier, puisqu’il est le principal argument utilisé par les pseudo-experts quand on les contredit. Mais pas seulement. Petit tout d’horizon…
Qu’est-ce que l’argument d’autorité ?
Il y a argument d’autorité lorsque votre principal argument pour appuyer votre propos et vous rendre crédible tient au fait que vous êtes (ou que vous déclarez être) un expert dans le sujet qui occupe votre conversation. Exemples :
- Je suis médecin, vous ne l’êtes pas, donc excusez-moi mais votre avis sur ce médicament ne m’intéresse pas.
- Avez-vous mené une étude approfondie sur ce sujet ? Non ? Eh bien moi je l’ai fait, et je peux vous assurer que…
- Je comprends votre colère. Mais comprenez, mon cher ami, que la conduite des affaires de l’Etat demande des compétences particulières, que vous n’avez pas. La solution que vous proposez est tout simplement impossible.
L’argument d’autorité n’est pas forcément faux : il peut en effet arriver que l’un des interlocuteurs soit expert dans la matière et pas l’autre. Cependant, il reste un argument fallacieux. En effet, un vrai expert devrait être capable d’expliquer à un néophyte pourquoi il se trompe. Si son seul argument se résume à : « J’ai raison parce que j’ai un diplôme et pas toi », c’est à peu près l’équivalent d’un gamin tapant du pied et criant : « C’est moi qui a raison parce que c’est moi qui a raison, c’est tout, na ! ».
L’argument d’autorité simple
C’est le plus facile à repérer : il consiste à se parer de son titre et/ou de son expérience pour éviter tout débat et exiger qu’on vous croie sur parole :
- J’ai longuement étudié le sujet…
- J’ai un diplôme dans telle matière…
- J’ai vingt ans d’expérience dans ce secteur…

C’est aussi le plus facile à dénoncer et à contrer. Pour cela, il suffit de répondre quelque chose du genre : Je ne doute aucunement de votre expertise. Mais, justement, puisque vous êtes expert en la matière, j’aimerais que vous nous expliquiez précisément ce qui cloche dans mes arguments.
Si votre contradicteur est de bonne foi, il vous expliquera et vous pourrez avoir une discussion constructive (il se peut même que vous vous rendiez compte qu’il a effectivement raison). En revanche, et c’est là une façon infaillible de repérer l’enfumage, le pseudo-expert de mauvaise foi vous répondra alors un truc du style : Ecoutez, nous n’avons pas le temps de vraiment entrer dans les détails ici… ou encore Vous savez, c’est très technique, et un peu compliqué à expliquer… Bref : il va essayer de se défiler. Si c’est compliqué au point qu’il ne soit pas capable de l’expliquer, vous êtes en droit de douter de son expertise.
L’argument d’autorité vague
De loin l’argument d’autorité le plus utilisé, il consiste à prétendre qu’il existe des études scientifiques très sérieuses, des penseurs très célèbres ou des sportifs éminents qui soutiennent son point de vue. Sans bien entendu citer les sources en question :
- Toutes les études sont formelles : votre position est intenable
- J’ai lu un article dans une revue très sérieuse qui assurait que…
- Tous les spécialistes de ce domaine sont d’accord pour dire que…
Une fois l’escroquerie intellectuelle repérée, elle est facile à démonter : il suffit en effet de demander de quels experts on parle, de quelles études, de quel article. Car si la personne n’est pas en mesure de citer précisément ses sources, son argument revient à dire : Croyez-moi sur parole, je vous assure que je sais ce que je dis, et des gens très sérieux sont d’accord avec moi. Il en faut davantage, si on veut être réellement crédible.
L’argument d’autorité négatif
Celui-ci est également courant, et consiste non pas à se valoriser soi-même mais à dévaloriser l’adversaire, en prétendant qu’il n’en sait pas assez ou n’est pas en bonne position pour émettre un avis éclairé. Exemples :
- Vous n’êtes pas une femme : vous ne pouvez pas avoir d’opinion sur la PMA.
- Vous n’êtes pas Noir : vous ne pouvez pas comprendre ce qu’est le racisme.
- Comment pouvez-vous oser émettre de telles critiques, alors que vous n’avez même pas fait l’Ecole Normale Supérieure ?
- Vous n’avez jamais été victime de violences sexuelles : comment pouvez-vous vous exprimer sur le sujet ?
Cet argument est une tentative d’intimidation de la cible : en tentant de saper la crédibilité de l’interlocuteur (y compris la crédibilité qu’il a auprès de lui-même), on laisse entendre que ses propres arguments sont valables.
Il existe plusieurs manières de contrer ce type d’argument d’autorité :
- Recadrer le débat :
– Vous n’êtes pas une femme : vous ne pouvez pas avoir d’opinion sur la PMA.
– Mais la PMA n’est pas seulement l’affaire des femmes : c’est une question de famille, et donc de société.
- Détruire l’argument en montrant qu’il est contradictoire avec lui-même, quand c’est le cas :
– Vous n’êtes pas Noir : vous ne pouvez pas comprendre ce qu’est le racisme.
– Ah bon ? Je viens pourtant d’être victime de racisme, à l’instant : vous avez affirmé que je n’étais pas capable de comprendre quelque chose en raison de la couleur de ma peau.
– Vous n’avez jamais été victime de violences sexuelles : comment pouvez-vous vous exprimer sur le sujet ?
– Vous pensez donc que les lois punissant le viol sont illégitimes ? Car les députés qui ont voté ces lois n’avaient pas tous été violés eux-mêmes !
- Reprendre une tactique similaire à celle de l’argument d’autorité simple :
– Comment pouvez-vous oser émettre de telles critiques, alors que vous n’avez même pas fait l’Ecole Normale Supérieure ?
– J’imagine que puisque vous, vous êtes normalien, vous savez ce qu’est un argument d’autorité fallacieux. Je suppose donc que vous n’allez pas vous contenter de cela et allez m’expliquer exactement en quoi j’ai tort, selon vous…

Comme on peut le voir, l’aspect fallacieux de l’argument d’autorité ne réside pas dans l’expertise, réelle ou supposée, de l’un des interlocuteurs : il est tout à fait légitime de se prévaloir de son expertise, quand celle-ci est réelle. L’aspect fallacieux de l’argument réside dans le fait d’essayer de faire croire que parce qu’il est expert, on devrait le croire sur parole. Or c’est le contraire : puisqu’il est expert, il devrait être capable d’articuler des arguments construits, renseignés, intelligents et compréhensibles. S’il a besoin, pour être crédible, de se parer de son titre, c’est que ses arguments sont faibles. Dès qu’on a cela en tête, l’argument d’autorité est assez facile à démonter.
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