Umberto Eco le constatait déjà, il y a quelques années, dans A reculons comme une écrevisse : aujourd’hui, une part non négligeable du paysage politique supposé progressiste (quelle que soit sa couleur officielle) est en réalité régressiste. C’est-à-dire qu’il propose une vision des choses dans laquelle l’individu est de moins en moins libre, de moins en moins ouvert, de moins en moins éduqué, et tout cela avec les meilleures intentions du monde…
Régressisme scolaire
Le meilleur exemple, à ce niveau, c’est sans doute le baccalauréat : en 2016, nous avons eu plus de 90% de réussite à cet examen. Nos ministres s’en sont félicités. En réalité c’est une catastrophe. Pourquoi ? Parce que le rôle d’un examen, c’est de faire la différence entre ceux qui l’ont et ceux qui ne l’ont pas : d’établir une ligne, une démarcation. En pratique, il n’y a donc aucune différence entre donner le diplôme à tout le monde et ne le donner à personne.
Il y a encore quelques décennies, le Baccalauréat était un examen difficile. Parmi ceux qui le passaient, on comptait jusqu’à 50% d’échec. Du coup, après les résultats, on avait deux catégories de personnes :
- Ceux qui l’avaient, et pour qui ça valait quelque chose
- Ceux qui ne l’avaient pas
Aujourd’hui, tout le monde l’a mais ça ne vaut plus rien. Ce qui veut dire que, finalement, tout le monde se retrouve dans la même situation que ceux qui, autrefois, ne l’avaient pas.
Bien entendu, tout cela est fait au nom d’une meilleure éducation pour tous. Or c’est l’inverse qui se produit : en refusant la sélection par le niveau scolaire et le travail, que se passe-t-il ? Eh bien la sélection se fait quand même. Mais cette fois par l’argent, le réseau social et les relations de papa. On passe donc d’une méritocratie à une aristocratie. Applaudissons cette merveille de démocratisation.
Régressisme féministe

Depuis plusieurs années, les Femen déboulonnent des croix, blasphèment dans des églises, miment des avortements sur des autels consacrés. De toute évidence, elles ont un problème avec la religion. Mais bon, pas n’importe quelle religion non plus. Car après les événements de Cologne, par exemple, l’attitude de ces mouvements féministes vis-à-vis de l’Islam n’a pas changé d’un iota : pas de profanation de mosquée, pas de lardons lancés sur des imams, pas d’hystériques seins nus criant en plein ramadan. Sans doute parce qu’il ne faut pas stigmatiser. Sans doute parce qu’étendre à tous les catholiques le mauvais jugement qu’on peut avoir sur quelques prêtres pédophiles ou maltraitants, c’est juste. Mais étendre à tous les musulmans les jugements négatifs qu’on peut avoir sur les terroristes, les tueurs et les violeurs, ça c’est profondément injuste et pas normal ? Le régressisme, ici, s’exprime donc par le fait de tirer sur une ambulance, tout en ignorant la menace réelle. Quand on défend réellement une idéologie, on la défend en tous lieux et contre tous les adversaires. On ne se contente pas de cracher sur ceux qui ne peuvent plus ni se défendre, ni vous condamner, tout en préservant ceux qui oseraient vous faire égorger. Enfin ça, c’est quand on est un militant honnête.
Cette forme de régressisme s’accompagne souvent d’un certain autisme moral : on trouvera en effet souvent, sur des sites de cette tendance ou des groupes approchants, des propos d’une extrême violence (appel à l’émasculation ou à la castration des opposants à la doctrine, refus des systèmes judiciaires standards et de la présomption d’innocence dans les cas de plainte pour viol, lynchage médiatique avant procès, etc.), qu’ils jugeraient intolérable à leur égard. Allez donc jeter un coup d’œil ici ou là et vous saisirez le niveau de réflexion ambiant.
Régressisme universitaire
Cet aspect est l’un des plus graves, car il touche les gens formés dans le cadre universitaire, et donc, en théorie du moins, les futurs intellectuels du pays. Les modes régressistes existent aujourd’hui aux Etats-Unis principalement, mais s’étendent lentement à l’Europe, en commençant par les pays du Nord. Ce régressisme s’exprime par un gloubiboulga soi-disant tolérant et ouvert, mais qui, en pratique, est un encouragement au fascisme le plus strict et appelle un univers à la 1984. Quelques exemples :
- Le concept de microagression : est considéré comme une microagression (et donc totalement injuste et inacceptable) tout acte ou toute parole pouvant peut-être, éventuellement, de loin et par vent arrière, sembler raciste, sexiste, intolérant, homophobe, etc. Exemple : aider une femme à porter une valise lourde avant qu’elle ne vous le demande est une microagression sexiste ; demander à une personne de couleur d’où sa famille est originaire est une microagression raciste ; déclarer qu’on attribuera un poste à la personne la plus compétente est une microagression validiste (non, ce n’est pas une blague : le validisme est le fait d’exercer une discrimination à l’égard des personnes handicapées physiques ou mentales). On le voit : avec l’idée de microagression, on peut faire taire à peu près n’importe qui, sur n’importe quoi, en prétendant qu’il a offensé quelqu’un.
- Le concept d’appropriation culturelle : au nom de l’antiracisme, cette innovation consiste à trouver scandaleux qu’un Blanc porte des dreadlocks et écoute du reggae, se déguise en Indien pour le carnaval, fasse du yoga ou encore mange des fajitas. Selon cette logique, il devrait également être scandaleux qu’un Noir conduise une voiture, utilise un téléphone portable ou écoute de la musique classique.
- Le concept de safe space : il existe désormais dans un certain nombre d’universités américaines des espaces protégés, dans lesquels les propos ou actes jugés choquants (comprenez : les propos avec lesquels vous n’êtes pas d’accord) sont interdits. Des espaces, donc, dans lesquels le débat n’existe pas, dans lesquels la contradiction n’est pas tolérée. Un pays des Bisounours, où tout le monde est gentil.
Le régressisme universitaire consiste donc, en substance, à faire avancer les principes du politiquement correct : ne pas dire quoi que ce soit qui puisse choquer ou blesser quelqu’un d’autre, ne pas débattre, ne pas parler de certains sujets … bref, cesser de penser.
A quoi sert le régressisme ?
Pour l’essentiel, il sert à détourner l’attention et à ne pas parler des vrais problèmes. Tant qu’on réclame des safe spaces, qu’on se plaint d’appropriation culturelle ou qu’on s’estime victime de microagressions, on ne parle pas des soucis sérieux. Tant qu’on se préoccupe, comme c’est le cas aux Etats-Unis, de savoir où on va faire pisser les travelos, on ne parle pas des problèmes sociaux réels.

On le voit : le régressisme est une maladie mentale et politique grave. Au nom d’une idéologie qu’il suppose ou, en tout cas, déclare progressiste, le régressiste, en réalité, refuse la réflexion, refuse le débat, refuse la différence. Il est très tolérant, mais uniquement à l’égard des gens qui pensent comme lui, ou dont il fantasme la différence sans jamais la côtoyer. Le régressisme, c’est une manière de diviser le monde en deux : les gentils et les méchants fascistes, qu’il faut impérativement réduire au silence, parce qu’ils ont le tort de contredire, de mal penser. Le régressisme, c’est prétendre vouloir la démocratie mais souhaiter en réalité le Meilleur des Mondes. Car la démocratie, ce n’est pas l’adhésion béate et générale à une seule idéologie : la démocratie, c’est le débat, le conflit parfois, les différences toujours.
“Les fascistes de demain s’appelleront eux-mêmes antifascistes » : la phrase est attribuée à Churchill, n’est sans doute pas de lui mais ça n’est pas grave. L’idée reste totalement d’actualité. Le régressisme, sous ses dehors généreux et tolérants, est bien une des formes contemporaines du totalitarisme. Un totalitarisme mou, certes, mais un totalitarisme tout de même. Au régressisme, il faut opposer le réalisme, le pragmatisme, les valeurs réelles, la morale, le bon sens, le progressisme véritable, même.
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