
Vita brevis
La brièveté même de l’existence, d’ailleurs, entraîne un certain principe de réalité, avec lequel il convient de faire la paix : nous ne réaliserons pas, en une seule vie, l’ensemble de nos rêves. Il y a trop de livre à lire, trop de lieux à visiter, trop de musiques à écouter, trop de femmes à aimer, trop de mets à déguster, trop de choses à découvrir, à conquérir, à explorer, à apprendre … le monde est trop vaste pour qu’une seule existence étanche en nous la soif de vivre ; la mort s’invite toujours à la fête trop tôt; et si cette soif de vivre s’étanche, c’est que nous sommes dans les ténèbres et la dépression la plus noire.
Chaque instant qui passe représente donc un choix, et un choix par élimination : tout ce que nous ne faisons pas à l’instant T, nous perdons, à jamais, la possibilité de l’avoir fait à ce moment-là de notre existence. Et rien ne nous dit que d’autres instants viendront. Même la plus banale et la plus routinière des tâches est concernée : l’entraînement que je rate aujourd’hui ne sera jamais rattrapé ; le rendez-vous que je n’honore pas disparaît dans le néant ; la soirée à laquelle je ne participe pas, parce que j’en préfère une autre, n’existera plus jamais. Choisir, c’est renoncer.
Nos choix et nos renoncements nous forgent et nous font, au moins autant que nous les faisons.
NEO-MASCULIN
Et c’est ce renoncement qui nous forge et forge notre existence. Nous ne sommes pas tant celui que nous croyons être que celui que nous forgeons au quotidien, par nos choix, par nos non-choix, par nos renoncements. Hier, peut-être ai-je été un homme qui renonce à écrire un chapitre du livre qu’il projette pour trouver le temps de soulever de la fonte. Et si hier avait été mon dernier jour, si j’étais mort ce jour-là, je serais, pour l’éternité, resté cet homme-là. Et même si hier n’est pas mon dernier jour : je garde hier en moi, et le garderai pour tout le restant de mon existence, et pour tout le restant de mon existence je demeurerai un homme qui a préféré, un jour au moins, la musculation à l’écriture. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Ni l’un ni l’autre. Mais ce choix a contribué à me définir. Celui que je suis aujourd’hui découle de ce choix. Celui que je serai demain découlera du choix que je ferai aujourd’hui. Mais en aucun cas, les mille-et-uns petits actes et petits renoncements qui parsèment nos jours et tissent la trame de notre existence ne peuvent être considérés comme anodins. Tout prend sens, dès lors qu’on a conscience que le moindre de nos choix contribue à la définition de notre être. Et que nous ne disposons, pour formuler cette définition, que d’un temps limité : la mort tient le chronomètre et il est déjà bien plus tard que nous ne le pensons.
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