Principe Pilule Rouge #20 : Le principe de la Jeune Fille

La Jeune Fille dont nous allons parler ici n’est pas forcément, pas toujours, une jeune fille. Il s’agit d’un archétype. Nous vivons entourés d’archétypes. Ces figures, quasi-platoniciennes, incarnent dans notre imaginaire collectif et notre mythologie sociale et politique, des figures « parfaites », des types de personnes ou de caractères qui nous servent de repères, et à l’aune desquels nous tendons à juger le réel. Ainsi en va-t-il de l’Homme Providentiel et du Tyran, de la Mère Aimante et du Bon Soldat, du Preux Chevalier et du Moine Paillard, de la Racaille et de l’Ouvrier, et de bien d’autres encore. Figures de l’imaginaire idéalisées, les archétypes recueillent les qualités essentielles de nos héros et de nos méchants, et, s’ils ne sont pas réels (parce que personne n’y correspond réellement à 100%), ils nous servent néanmoins à juger et appréhender le réel.  Toute société, toute culture, produit ses archétypes, consciemment ou pas. La Jeune Fille est l’archétype de l’individu tel que la société occidentale contemporaine désire qu’il soit.

Jeune

La Jeune Fille est jeune, parce que la jeunesse est un âge particulier de l’existence. C’est un moment suspendu, une époque de la vie où l’on peut se sentir comme pris dans une brève bulle d’éternité : on est sans passé ni avenir. Sans passé parce que, ingratitude naturelle et passagère de la post-adolescence et solipsisme contemporain aidant, on se sent facilement sans racines ni attaches, sans devoir envers son passé, ni envers sa famille ; sans passé également parce qu’on n’a que peu vécu, et, quoique l’on pense souvent tout savoir ou presque, on est en réalité totalement dénué d’expérience comme de culture. Sans avenir parce qu’on ne songe guère au lendemain : on n’est que rarement conscient du vieillissement inévitable et de la mort à venir ; on vit dans l’instant, on épargne et on s’épargne peu ; la soirée de demain soir chez la jolie rousse du palier d’à côté a plus d’importance immédiate que les études que l’on est supposé suivre ; le plaisir immédiat compte plus que ses résultats sur le long terme.

C’est aussi l’âge où l’on est le plus crédule, le plus facilement embrigadable. L’âge où l’on se passionne naïvement pour les causes les plus diverses et les moins profondes. Un âge où l’on jouit de ses prérogatives d’adulte, et où on en a tout le pouvoir de nuisance et tout le pouvoir de consommation, sans pour autant en avoir la sagesse, la distanciation ni la profondeur personnelle.

« Être infiniment désirable et désirant, la Jeune Fille est aussi un être infiniment pénétrable, à tous les sens du terme. »

MARTIAL

Fille

La Jeune Fille n’est pas que jeune : elle est aussi fille. Et en tant que fille, elle attire à elle toute la symbolique liée à une féminité absolue, fantasmée et caricaturale.

Pénétrable par nature et essence, elle est poreuse, relationnelle. La Jeune Fille vit dans le regard des autres, dans le rapport à l’autre. Elle n’a aucune intériorité réelle, et attend de l’autre qu’il la remplisse. Incapable de penser par elle-même, elle est pleine et pénétrée des pensées d’autrui, des slogans d’autrui, des modes d’autrui. Elle est idiote mais charmante, et parce qu’elle est charmante, on feint de lui pardonner sa bêtise.

Solipsiste par penchant naturel autant que par éducation et par le fait de vivre dans un monde où rien ne refrène ce tropisme, la Jeune Fille ne voit le réel qu’au travers du prisme de sa propre sensibilité. Les autres n’existent qu’en cela qu’ils lui servent. Ils ne sont que les objets de son désir ou de sa haine, de sa tendresse ou de sa crainte, et jamais, à ses yeux, des êtres autonomes. Elle vit par eux mais eux, dans son esprit, n’existent que par et pour elle.

Séductrice et narcissique, la Jeune Fille veut plaire. Elle veut attirer le regard, charmer, subjuguer. Trop égoïste pour être capable d’aimer, trop solipsistes pour comprendre qu’il y a autre chose dans l’existence qu’une éternelle fête, elle consomme sa vie comme un rail de coke.

Plus généralement, la Jeune Fille cumule tous les caractères classiquement et traditionnellement féminins, et les pousse à leur paroxysme et jusqu’à leur caricature, et en toute bonne foi et tranquillité d’esprit.

La Jeune Fille

La Jeune Fille, c’est donc l’être évanescent, puéril, immature, irrationnel, névrosé, narcissique, égoïste et hystérique par excellence. Un être dont le niveau d’intelligence et de compréhension du monde est à peu près celui d’une jeune femme surprotégée de 17 ou 18 ans, venant d’avoir son Bac et quittant pour la première fois le domicile de Papa et Maman, notables bourgeois de Province, pour aller faire ses études à la grande ville voisine. Une jeune femme au tout début de son Carrousel, donc.

Cette Jeune Fille, c’est l’archétype du citoyen idéal, dans la société occidentale contemporaine. C’est l’être auquel le discours politique s’adresse. C’est celui que le discours médiatique et une bonne partie du discours éducationnel tente de former.

« La Jeune Fille n’a aucune profondeur. Mais ce n’est pas grave, tant qu’elle est agréable à ses propres yeux.« 

MARTIAL

Typologies de la Jeune Fille

Être infiniment superficiel, irresponsable, en perpétuelle angoisse de sa propre représentation, la Jeune Fille  incarne l’absence absolue de virilité réelle. Être sans mission en ce monde, elle voue son existence à la contemplation narcissique du plaisir qu’elle prend à la vivre. Elle doit consommer pour se sentir exister, car, incapable de réellement être, elle ne sait se définir que par l’avoir. C’est aussi un être persuadé du bien-fondé de ses droits et des ses désirs mais totalement déconnecté de la notion de devoir, vis-à-vis des autres comme vis-à-vis de la société (pour ne même pas parler des générations suivantes, ni des antérieures). Comme elle a tous les droits, la Jeune Fille ne comprend pas qu’on puisse lui refuser quoi que ce soit ; trop bête pour comprendre que son droit est moins important que l’intérêt de la société, elle défendra, ainsi, les causes les plus absurdes et les plus stupides.

Parce qu’elle veut tout et son contraire et n’a pas compris que les choses ont un prix, la Jeune Fille désire les choses et les gens, sans être prête à faire le moindre effort réel pour les obtenir, ni faire preuve de la moindre patience : elle aime ou déteste par caprice.

Il convient cependant de se souvenir que la Jeune Fille est un archétype. Dans la réalité, elle s’incarne en tous types de personnes, qui ne sont ni forcément jeunes, ni forcément filles.

La beurrette rêvant du prince charmant qui lui achètera des Louboutin est bien entendu une Jeune Fille ; mais le vieux beau que sa nouvelle bagnole rassure de ses dysfonctionnements érectiles et qui vient de prendre rendez-vous pour se faire poser des implants capillaires est tout autant Jeune Fille. La quadra récemment divorcée qui tente d’oublier ses premières rides en retournant s’éclater en boîte et en se faisant défoncer dans les chiottes par un type rencontré vingt minutes plus tôt, juste pour s’assurer qu’elle peut encore plaire est également une Jeune Fille ; mais le culturiste narcissique, épilé de frais et éperdu d’admiration devant la ligne parfaite ses propres abdos, si épris de lui-même qu’il se sucerait bien s’il était assez souple, est également une Jeune Fille.

La Jeune Fille qui est en vous

Parce qu’on n’est jamais totalement à l’abri de sa propre époque, nous avons tous un peu de Jeune Fille en nous. Mais certains plus, bien plus que d’autres. Ainsi, la Jeune Fille pleure devant une photo du petit Ilam mais ne se demande jamais pourquoi on lui montre celle-ci, et pas celle de millions d’autres pauvres gosses, eux aussi morts, eux aussi tragiquement, en d’autres points du monde : elle ne voit pas la manipulation, elle ne voit que sa propre émotion. La Jeune Fille allume des bougies à chaque nouvel attentat. La Jeune Fille ne sait pas qui était le Professeur Choron et n’a jamais ouvert un seul bouquin de Cavanna mais elle est Charlie. La Jeune Fille a voté Macron dès le premier tour parce que c’était le seul candidat qui parlait réellement à son intelligence. La Jeune Fille est solidaire ; elle n’a pas pensé à définir de qui, mais elle sait que c’est bien d’être solidaire. La Jeune Fille est préoccupée par l’exploitation capitaliste et se rue au Black Friday.

La Jeune Fille n’est pas un archétype anecdotique : elle est l’être humain que notre société souhaite. Elle est l’être que notre société promeut. Et puisqu’elle promeut celui-ci, elle persécute, à un degré ou à un autre, tout ce qui lui est opposé. Il faut dire que la Jeune Fille est, pour n’importe quel pouvoir en place, le sujet idéal. Trop superficielle pour remettre en question l’autorité, trop bête pour discerner les manipulations les plus évidentes, elle consomme, s’émeut, vote, manifeste, mange, danse et baise comme on lui dit de le faire et quand on lui dit de le faire. Zombie décérébré vomi par une société de consommation démente, des cadres familiaux déliquescents et une éducation à l’agonie, elle obéit aux injonctions de ses maîtres avec bien plus de cœur et bien moins de réticence que ne le faisait jadis le plus fanatique des SS. Et pour cause : elle n’a même pas conscience d’obéir et croit folâtrer librement dans une vie qu’elle a du mal à différencier d’une publicité Ikéa ou d’une comédie romantique. Elle saura, en revanche, retrouver toute la véhémence et l’agressivité du brave petit chien de garde qu’elle n’a jamais cessé d’être dès qu’elle se retrouvera en face d’un ennemi du Parti. C’est-à-dire de tout être, homme ou femme, qui aura su conserver une part de virilité réelle.

Rendons à César

La figure de la Jeune Fille en tant qu’entité archétypale, sociétale et politique provient de Tiqqun. Vous pouvez en savoir et en lire davantage ici, ou tout simplement vous procurer l’ouvrage .

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