Il est normal et naturel, pour tous les individus, de souhaiter mettre en avant leurs qualités propres.
ANTOINE
Le virtue signaling est un phénomène qui explique bien des choses. Il est normal et naturel, pour tous les individus, de souhaiter mettre en avant leurs qualités propres. Nous le faisons tous, à un degré ou à un autre : cela entretient notre narcissisme (et il en faut un minimum) et la bonne image que nous avons de nous-même. Cela entre également en jeu dans la plupart des principes de séduction : une femme au décolleté avantageux montre qu’elle a de beaux seins ; un homme l’invitant dans un restaurant coûteux lui montre qu’il est riche. Et ainsi de suite. Un grand nombre de nos comportements n’ont d’autre intérêt que de montrer aux autres et à nous-mêmes que nous sommes quelqu’un de formidable.
Le virtue signaling, donc (désolé, il n’existe pas de terme français réellement approprié pour décrire ce principe), est un détournement du processus social habituel. Né dès l’aube de l’humanité mais devenu soudain un phénomène majeur avec les réseaux sociaux, il a ensuite peu à peu envahi le monde réel, jusqu’à devenir, pour certains, une habitude et presque un mode de pensée.
Le virtue signaling, ou la vanité à peu de frais
Le virtue signaling est, en quelque sorte, la démonstration de traits positifs du pauvre : quand on n’a ni argent à dépenser, ni physique avantageux à montrer, ni culture, ni charisme, ni l’énergie ou le courage de s’investir dans quelque chose, il reste tout de même un élément qu’on peut mettre en avant pour flatter son petit égo.
ANTOINE
L’élément dont il est question est la morale. Le virtue signaling consiste donc, sur les réseaux sociaux entre autres, à montrer qu’on est une personne extraordinairement sensible et moralement supérieure en likant et en invitant ses amis à liker une page consacrée à une ONG, une cause internationale, une journée mondiale de ceci ou de cela. On peut aussi le pratiquer en changeant son image de profil, en taggant des photos Je suis Charlie, en invitant à signer des pétitions en ligne, et ainsi de suite. Dans le monde réel, cela peut se manifester par le fait d’allumer des bougies pour les victimes des attentats, d’avoir le courage inouï de continuer à sortir en boîte malgré l’état d’urgence « Parce que ce que veulent les terroristes, c’est qu’on renonce à notre liberté. » ou encore de boycotter les produits israéliens (de toute façon assez rares en France) « parce que la colonisation, c’est mal » (alors que bon, les produits chinois, par contre, d’un point de vue éthique il n’y a pas de souci, tout est cool).
Dans tous les cas, ces comportements ont un point en commun : en réalité ils ne vous coûtent rien.
Conditions et traits courants

Pour qu’il y ait virtue signaling, deux éléments sont nécessaires :
- L’action doit flatter la vanité de la personne, qui se sent narcissiquement renforcée par le fait de montrer à ses contacts qu’elle est moralement supérieure. Cette flatterie n’est bien entendu pas forcément avouée.
- L’action ne doit en réalité rien coûter de sérieux à la personne, sinon éventuellement un peu de temps ou quelques euros. Idéalement, il peut ne s’agir que de mots : liker une page expliquant que les nazis, c’est mal, et inviter ses amis à la liker aussi, est un exemple typique. En faisant cela, vous ne prenez aucun risque social (les défenseurs du Troisième Reich sont rares, de nos jours) et montrez que vous êtes vachement sérieux, concerné et conscient des enjeux actuels, sur le plan politique.
Les traits suivants ne sont pas obligatoires ni systématiques mais accompagnent souvent le virtue signaling :
- Professer une idéologie acceptée à 100% par la majorité de ses contacts et présenter cela comme jeune, innovant et éventuellement provocateur ou disruptif (exemple : Moi, je vote Macron et je n’ai pas peur de le dire : je veux que les choses changent !).
- Variante du cas précédent : prendre une cause totalement politiquement correcte (le racisme c’est mal, le sexisme c’est mal) et de préférence résolue dans la société où vous vous trouvez (à partir du moment où vous vivez dans une société où les lois sont les mêmes pour tous, sans distinction de couleur de peau ni de sexe, vous ne pouvez pas la prétendre institutionnellement raciste, ni sexiste; inégalitaire si vous voulez, mais c’est un autre débat) et de là tirer des exigences démesurées et en général complètement connes (Déboulonnons les statues du Général Lee !), sans généralement connaître quoi que ce soit au sujet (Ah bon, il a libéré des esclaves, Lee ? Mais il était sudiste … comment ? c’est plus compliqué que ça ? Non, c’est impossible : le monde est simple, il n’y a que des gentils et des méchants, et je fais partie des gentils, donc vous êtes un vilain méchant) et surtout sans que l’action proposée ne change quoi que ce soit au réel (en quoi le fait de ne plus avoir de statue de Lee dans un square va changer quoi que ce soit à la situation de la population Noire américaine ? Je parle de changements réels : éducation, travail, situation financière, sécurité…).
- Prétendre s’intéresser au sort d’une minorité quelconque. Plus cette minorité est minoritaire (une minorité au sein d’une minorité, c’est le top), mieux c’est. Exemple : On a beaucoup parlé des Rohyingas ; mais savez-vous que la situation des personnes transgenres rohyingas est absolument dramatique ?
- Prétendre s’identifier aux victimes ou aux héros du moment (Je suis Untel ou Untel), même et surtout si on n’en avait rien à foutre avant.
- S’offusquer que d’autres ne soient pas aussi concernés que vous par le sujet dans lequel vous vous impliquez courageusement (et confortablement).
Virtue signaling, hypocrisie et solipsisme

Le phénomène du virtue signaling tient à la fois de l’hypocrisie (dire que l’on défend une cause et ne rien faire de réel pour elle) et d’une certaine forme de dissonance cognitive (le pratiquant du virtue signaling n’avouera jamais qu’en réalité, sa cause lui importe beaucoup moins que l’image sociale qu’il en tire) mais également, à certains degrés, de pratiques de socialisation : ainsi, le fils de bourgeois qui s’est fait marxiste ou le chrétien d’origine converti à l’Islam voudra toujours prouver à ses nouveaux amis qu’il est au moins aussi « pur » qu’eux, le plus souvent par l’intermédiaire d’un virtue signaling de grande ampleur. Ce virtue signaling l’exonère de toute action réelle. Acheter Charlie Hebdo et le lire ostensiblement à la terrasse d’un élégant troquet où le café coûte quatre euros la tasse, par exemple, vous permet de continuer par ailleurs à vivre une vie de bourgeois sans souci : vous montrez toutes les semaines qu’au fond, dans votre cœur, vous êtes de gauche. Signer des pétitions contre les projets du gouvernement vous permet de ne pas avoir à remettre en question votre propre attitude politique ni vos propres votes. Liker la dernière campagne de communication du Secours Populaire vous excuse de ne jamais rien lui donner, puisque vous avez déjà fait quelque chose pour la cause (en outre, imaginez que vous vous contentiez d’envoyer un chèque sans rien en dire sur Facebook … quelle catastrophe : vous auriez fait une bonne action dont personne ne peut vous féliciter !).
Pour conclure
Oui, bien entendu, le virtue signaling est une chose assez méprisable : c’est la forme d’engagement choisie par les minables, les imbéciles et les paresseux. C’est un renforcement narcissique à un coût négligeable, qui ne peut flatter que des individus déjà tellement dépossédés d’eux-mêmes et tellement zombifiés qu’ils se sentent effectivement mieux quand l’un de leurs posts reçoit quelques Likes. Illusion tragique et fruit d’une époque nombriliste et solipsiste, le virtue signaling est à repérer, et si possible à démonter et dénoncer pour ce qu’il est : une pitoyable tentative d’attirer un peu d’attention sur sa petite personne. Attention, toutefois : il existe bien entendu des engagements nécessaires (mais ils sont beaucoup plus rares), dont la manifestation en ligne ou dans le discours n’est pas à mettre dans le même sac; d’autre part, la vanité est une faille très humaine, tout comme la paresse ; il convient donc de se souvenir que le virtue signaling peut nous arriver à tous, un jour ou l’autre.
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